L'effort Juste


Contrairement à ce que l'on pourrait penser, pratiquer l'effort juste ne consiste pas à apprendre à faire ou maintenir des efforts. Ce serait plutôt l'inverse. Ce serait arrêter de faire des efforts pour simplement "être".

Beaucoup d'entre nous pratiquent "l'essayer..."  "je vais essayer de faire ceci ou cela". "je veux bien essayer..."

Par exemple lorsque vous méditez vous "essayez" de prendre conscience de votre respiration: n'essayez pas faites-le.

Si cela ne dure pas "assez" longtemps ou si ce n'est pas facile, acceptez ce qui est. C'est un début...si vous persévérez, cela viendra progressivement.

Cela s'applique à tous les domaines de la vie.

L'effort juste suppose de s'engager, d'être assidu, régulier, constant, mais pas de s'efforcer....

La plupart d'entre nous avons appris dès l'enfance ne pas rester oisifs (ce n'est pas productif de ne rien faire!), il faut toujours être en train de faire... la plupart des gens sont évalués sur et pour ce qu'ils font et non sur qui ils sont.

Ceux qui font un travail qui leur plait, qu'ils soient médecins, astronautes, artisans, ouvriers etc... n'ont pas besoin de faire des efforts.

Ceux qui ne font pas un travail qui leur plait doivent perpétuellement faire des efforts pour s'adapter, pour supporter...

Même dans nos loisirs, nous sommes persuadés que le plaisir, la détente viennent de l'effort, que ce soit dans le sport, dans les activités artistiques ou culturelles, nous pensons "effort"...parce que persuadé que l'on n'a rien sans effort....

OUi mais quel effort ?

Cela veut dire par exemple qu'il ne suffit pas de méditer une fois de temps en temps dans un groupe ou chez soi pour parvenir à la Pleine Conscience.

Il est important de se ménager des temps de calme, de méditation, de retour vers soi, mais aussi des temps de pause et d'observation du monde, et de s'y maintenir, régulièrement.

C'est en pratiquant régulièrement que l'on parvient à se centrer, à se détacher des pensées, et à appréhender la réalité de l'instant. Développer la pleine conscience demande un entraînement pour que cela devienne naturel, spontané.

L'effort sans effort: lorsque l'énergie circule librement.


L'effort juste concerne tous les aspects de notre vie quotidienne, tous les thèmes du Noble Sentier: la vue juste, la pensée juste, la pleine conscience, la parole juste, l'action juste, la concentration juste, les moyens d'existence juste.


Rester vigilant demande une attention, pratiquer régulièrement demande une assiduité, garder sa concentration demande de la pratique, ne pas se laisser envahir par des habitudes et par des évidences demande de la constance, abandonner ses croyances demande une prise de conscience, consolider et affirmer ses valeurs demande de la clairvoyance, s'informer demande la volonté de faire la part des choses. Se démarquer de la conformité attendue et en assumer les conséquences demande une juste compréhension.


Ce qui ressort ici consiste à comparer l'effort supposé attendu à une action volontaire, responsable, soutenue et régulière afin de réaliser ou d'atteindre un objectif.


  1. Pratiquer l'effort juste, c'est prendre le temps et les moyens de vérifier les informations dont nous avons besoin, celle que nous recevons et celles que nous donnons. C'est entreprendre une démarche volontaire pour acquérir les informations, et les connaissances nécessaires à notre réflexion, à notre libre-arbitre, à nos actions.

C'est être vigilant à ne pas tomber dans le panneau des sophismes, et à ne pas contribuer à en créer.

C'est être conscient des qualités, compétences que l'on a ou que l'on n'a pas pour réaliser une action, les acquérir, les développer, les entretenir si l'on souhaite poursuivre l'action.

C'est avoir l'honnêteté de reconnaître que l'on fait une erreur ou que l'on a induit quelqu'un en erreur.


  1. Pratiquer l'effort juste c'est aller au bout de ses propres valeurs, en les incarnant (en les vivant dans notre quotidien) et veiller à ne pas les trahir en adoptant des valeurs en Kit proposées par le monde extérieur, par conformité ou facilité.

Je ne dis pas que certaines valeurs extérieures ne sont pas valables et qu'elles ne méritent pas d'être adoptées, je suggère de les vérifier, de rester vigilants à ce qu'on nous propose et à la liberté que nous avons de choisir et de valider ce qui nous correspond.


  1. Pratiquer l'effort juste implique d'être attentif à ne pas parler pour ne rien dire, à ne pas dire n'importe quoi, à ne pas médire. C'est être et rester conscient de la portée de nos propos et de nos actes, en évitant de se nuire et de nuire aux autres


  1. Pratiquer l'effort juste, c'est persévérer dans nos actions, accepter de ne pas y arriver du premier coup, ne pas se décourager lorsque nous échouons ou lorsque nous avons l'impression de revenir en arrière.

Pratiquement tout changement passe par des périodes de retour en arrière, et des périodes de crise.

C'est aussi s'engager dans ce que l'on fait et en accepter la responsabilité.

Nous sommes responsables de notre vie. C'est à nous que revient la responsabilité de développer les capacités que nous avons reçues, de corriger un défaut, d'agir de manière appropriée, de nous lier aux autres, d'assumer les conséquences de nos actes.


  1. Pratiquer l'effort juste consiste à être présent et impliqué dans ce que nous vivons, en veillant à la qualité de notre mode de vie tout en étant conscient et concerné par celui des autres. C'est veiller à développer, pratiquer le respect de soi, l'estime de soi et des autres dans chacune de nos actions, dans chacun de nos échanges, dans notre manière d'être. 

Nous sommes responsables de notre évolution, des transformations que nous pouvons mettre en place pour atténuer notre souffrance et celle des autres.


Changer n'est pas devenir quelqu'un d'autre, mais devenir un peu plus soi-même, pour arriver enfin à tourner un peu moins autour de soi.

Ce n'est pas parce que nous mangeons végétarien ou bio que nous changeons ou que le monde change, c'est la pleine conscience qui sous-tend chaque action qui apporte le changement.

Ce n'est pas parce que nous faisons du Yoga, du Tai Chi Chuan, de la médiation que nous devenons "meilleurs", plus "cool", plus "Zen".


Notre ego ayant tendance à s'identifier à nos pensées, à nos constructions mentales, qu'elles soient de notre fait ou du fait de notre entourage, nous devons rester attentif à ne pas nous laisser reprendre par nos habitudes, à ne pas revenir au pilotage automatique, à vérifier tout ce qui tend à nous formater (dont la mode). L'effort juste est lié à la constance.


Par exemples:


  1. certains d'entre nous sont persuadés qu'ils sont nuls ou inutiles ou incapables (parce qu'on leur a tellement répété, parce qu'ils le croient, parce qu'ils se l'imaginent, parce qu'ils ont connu quelques échecs).

Ma voisine n'est pas si nulle qu'elle le dit lorsqu'elle veut m'extorquer un service. Elle est souvent sous l'influence de croyances liées à son milieu social : les femmes ne sont pas capables de bricoler, ce n'est pas aux femmes d'installer un téléviseur, ou de changer la roue de la voiture.

D'autres sont persuadés qu'ils sont irrésistibles ou indispensables, au point de se sentir supérieurs (parce qu'on leur a tellement dit, parce qu'ils le croient, parce qu'ils se l'imaginent, parce qu'ils ont réussi).

Développer la Pleine Conscience et devenir observateur de nos pensées n'est pas difficile lorsqu'on pratique la méditation, le plus difficile est de s'y maintenir.

Parce que régulièrement l'esprit tentera de s'évader et donnera la priorité aux pensées.

Parce que régulièrement des expériences tendront à nous "prouver" que nous sommes nuls ou irrésistibles; parce que les habitudes ne demandent qu'à revenir, parce que changer fait peur, parce que ce n'est pas évident de quitter un rôle que l'on connaît bien.

Cette impression de ne pouvoir être que ce qu'on croit être ou devoir être, et qui nous empêche d'être soi.

  1. Certains d'entre nous travaillent dur, sans relâche, pour atteindre des objectifs de carrière, de gloire, de respect, de pouvoir, ou par crainte de ne pas en faire assez, souvent pour fuir une souffrance (mésestime de soi, problèmes familiaux, insécurité matérielle, non-amour etc...) On peut y voir un effort, mais pas un effort adapté. Parce que derrière il y a de la souffrance et une fuite.

  2. Certains d'entre nous s'imposent des règles de vie draconiennes, des régimes, pensant se libérer d'un certain matérialisme, ou s'approcher d'un certain idéal, il ne s'agit pas d'un effort juste. Parce que derrière il y a de la souffrance et de la contrainte.

  3. D'autres pensent que pour méditer il faut avoir un maître ou un guru, qu'il faut prendre des postures qui demandent beaucoup d'expériences et de souplesse, qu'il faut avoir une alimentation particulière ou s'astreindre à des régimes particuliers (jeûnes, purification etc...)

D'autres pensent qu'il faut faire le vide et s'abstenir de toute pensée en pratiquant des techniques sophistiquées de contrôle mental. C'est tout sauf de la méditation et de l'effort juste.

D'autres pensent qu'il faut se débarrasser de l'ego, ce qui s'avère impossible voire dangereux. L'ego est une partie de nous mêmes, même s'il s'identifie parfois à autre chose que nous-mêmes ou prend le contrôle de façon envahissante.

L'effort consiste à le remettre à sa place de façon à ce à qu'il se fasse plus discret.


Lorsqu'on est un peu moins préoccupé par soi-même, on devient un peu plus disponible à ce qui est, et aux autres.

La pratique doit être bienveillante, agréable, uniquement fondée sur la compréhension de l'enseignement. Nous sommes censés prendre du plaisir à pratiquer.


Pour illustrer le propos précédant Thich Nhat Hanh 1 emploie cette parabole :


"Un moine pratiquait la méditation assise de façon très intensive, jour et nuit. Il mettait toute son énergie dans la pratique au point d'en surprendre les autres, ce qui le rendait très fier.

Malgré cela sa souffrance ne s'estompait pas.

Un jour son maître lui dit " dans quel but pratiques tu ainsi?

Il répondit " je veux devenir Bouddha.

Le maître prit un morceau de tuile d'argile qu'il frotta sur un rocher.

Le moine demanda : "que faites vous maître ?"

- "je polis ce morceau de tuile pour en faire un miroir" répondit le maître.

Le moine de s'exclamer "mais comment peut on faire un miroir en polissant une tuile d'argile ?"

Le maître répondit " comment veux tu devenir un Bouddha en restant assis tout le temps à méditer ?"


Pratiquer l'enseignement bouddhiste n'a pas pour objectif de devenir un saint, un ascète, un renonçant, ni même un Bouddha.

Parce que la pratique n'est pas destinée à sur-ajouter de la souffrance à la souffrance, parce que la pratique ne consiste pas à se retirer du monde, à s'isoler, à se démarquer, à s'annihiler.

Parce que la pratique est destinée à améliorer notre inter-action avec le monde, en favorisant une vision plus juste de la réalité, a fortiori de soi-même.

Entretenir des attitudes positives comme le respect et la protection de la vie, la pleine conscience, la compassion, la loyauté, la solidarité, la responsabilité, vise à rester en bonne santé physique et mentale, à accéder à un bien être, à interagir de façon plus appropriée avec l'univers.

Entretenir des attitudes positives dans un monde qui roule en sens inverse, n'est pas facile et demande un effort. C'est un peu comme nager à contre courant. Ce n'est pas évident, mais cela en vaut la peine, même si parfois cela donne un sentiment de solitude ou d'impuissance.

Si nous sommes plus nombreux à nager à contre courant, il arrivera peut être un moment où le courant s'inversera.

Découvrir et reconnaître ses limites physiques et psychologiques, de manière à ne pas se laisser aller dans les extrêmes de l'ascèse ou de la débauche sensuelle, pour en arriver à la voie du milieu et de la sagesse, demande un certain effort.

Re-devenir ou rester soi demande un effort.

Si l'effort est désagréable, c'est que nous n'avons pas trouvé la pratique qui nous convient.




Concrètement : (par exemple...)



L'effort juste est une discipline qui engage la volonté de poursuivre, il se pratique au quotidien, avec bienveillance en se dotant d'un minimum d'organisation : se lever plus tôt ou arrêter ses activités nocturnes plus tôt pour s'accorder un temps de méditation, débrancher ou éteindre le téléphone quelques instants pour se consacrer attentivement à ce qu'on fait (même au travail !), prendre le temps de s'occuper de soi, prendre le temps de cuisiner pour soi et pour les autres, observer et contrôler sa tendance à réagir, à se laisser envahir par des émotions ou des sentiments, etc...

  1. C'est savoir résister à la tentation d'acheter des choses dont on n'a pas forcément besoin, mais aussi être capable de s'autoriser à faire l'acquisition de quelque chose qui nous est indispensable. La simplicité volontaire de Pierre Rhabi.

  2. C'est gérer son espace en se libérant des choses matérielles et des sentiments qui ne servent à rien, en étant vigilant à ne pas laisser l'espace se remplir à nouveau par sécurité.

  3. C'est gérer son temps en résistant à la tentation de se laisser envahir par les médias, par la publicité, par les informations trafiquées et les rencontres inutiles.

  4. C'est prendre conscience de la conséquence de nos actes, pour nous même et pour les autres.

  5. C'est prendre soin de soi et des autres, avec respect.

  6. C'est gérer sa vie avec discernement, prévoyance et engagement.

  7. C'est continuer à être poli, respectueux et bienveillant même si ce n'est plus à la mode, et si la majorité nous pousse à penser le contraire.

  8. C'est apprendre à utiliser les trois tamis de Socrate 2 à bon escient :

" Un jour, quelqu'un vint voir Socrate et lui dit :
- Ecoute Socrate, il faut que je te raconte comment ton ami s'est conduit.
- Arrête ! Interrompit l'homme sage. As tu passé ce que tu as à me dire à travers les trois tamis ?
- Trois tamis ? dit l'autre, empli d'étonnement.
- Oui, mon bon ami : trois tamis. Examinons si ce que tu as à me dire peut passer par les trois tamis.

Le premier est de celui de la Vérité. As tu contrôlé si ce que tu as à me dire est vrai ?
- Non; je l'ai entendu raconter, et ...
- Bien, bien. Mais assurément, tu l'as fait passer à travers le deuxième tamis. C'est celui de la Bonté.

Ce que tu veux me dire, si ce n'est pas tout à fait vrai, est-ce au moins quelque chose de bon ?
Hésitant, l'autre répondit : non, ce n'est pas quelque chose de bon, au contraire ...
- Hum, dit le Sage, essayons de nous servir du troisième tamis, et voyons s'il est utile de me raconter ce que tu as à me dire ...
- Utile ? Pas précisément.
- Eh bien, dit Socrate en souriant, si ce que tu as à me dire n'est ni vrai, ni bon, ni utile, je préfère ne pas le savoir, et quant à toi, je te conseille de l'oublier ..."

Si ce que l'on nous propose n'est ni vrai, ni bon, ni utile, pour soi et les autres, faire l'effort de s'en passer.

  1. C'est aussi se permettre de se lâcher un peu, se permettre de ne pas être parfait ou conforme, se permettre de faire une folie de temps en temps qui ne nous met pas ou ne met pas les autres pas en danger.



1 Thich Nhat Hanh - Le coeur de l'enseignement du Bouddha- la Table Ronde- Paris- 1998

2 http://fr.wikipedia.org/wiki/Socrate

 

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