" La vie ce n'est pas seulement respirer, c'est aussi avoir le souffle coupé "
réplique de Will Smith dans le film Hitch, empruntée à Alfred Hitchkock.
"La vie est à la fois épouvantable et merveilleuse.
Chaque jour des milliers d'enfants meurent de faim. Des espèces végétales et animales s'éteignent.
Et pourtant le lever de soleil est si beau, et la rose qui a éclos ce matin contre le mur est un miracle."
Tich Naht Hanh - VIvre en paline conscience - Belfond
" La beauté est faite d'un ensemble de petits clins d'oeil à la vie qui soudain rassemblés illuminent l'instant" J Salomé - Vivre avec les autres - Editions de l'Homme - 2002
s'émerveiller
S'émerveiller suppose :
que l'on en ait envie : est ce que la vie nous intéresse suffisamment ? Sommes nous assez curieux pour avoir ce désir de l'étonnement ?
Un minimum d'appétit de vivre est requis pour s'émerveiller. Rares sont ceux qui l'on complètement perdu...même lorsque la déprime est là.
il y a toujours un fond d'espoir, une attente chez chacun d'entre nous...mais l'émerveillement implique une action consciente, au moins dans le fait de se laisser désirer, de se rendre disponible.
ll s'agit de ne pas laisser tomber à la première déception...en se disant que l'on a essayé et que "l'on savait que cela ne marcherait pas..." il est important d'être et de rester dans le désir existentiel.
D'où une seconde condition, la constance.
de la constance : la capacité à l’émerveillement, se construit pas à pas, parfois avec des petites choses simples, parfois des choses plus importantes, parfois extraordinaires, s’enrichir progressivement des expériences et consolider...se nourrir progressivement de tous les bons moments.
Cela implique de prendre conscience de l'impermanence de la vie et de l'accepter : le monde est en constante évolution, nous vivons dans une réalité qui change en permanence, ce qui est une invitation à rester attentif à tout ce qui change, ce qui veut dire aussi que je m'adapte, que j’arrête de voir le monde et les choses de façon banale, ou de vouloir que tout soit prévisible ou sous contrôle, parce que j’accepte de me laisser étonner par ce que je vois, ce que j’entends, ce que je ressens... ce qui demande une qualité de présence à ce qui est.
une présence consciente : c'est savoir être centré sur ce qui se passe là, tout de suite. Sans avoir besoin de faire d'effort. C'est savoir ne pas se laisser envahir par ce qui nous parasite, au profit de ce qui est ici et maintenant. On ne peut pas s'empêcher de penser, mais on peut éviter de s'accrocher aux pensées.
Par exemple :
lorsque les gens mangent, généralement ils parlent, et ne font plus attention à ce qu’ils mangent... lorsqu’ils sont devant un plat, ils l’avalent sans avoir pris le temps de contempler, de goûter, de sentir, d’être présents à ce plat.
Cela ne veut pas dire qu’il faut se taire pour manger, cela veut dire qu’il faut être moins bavard...ou au moins s'arrêter de temps en temps pour savourer, avec les yeux, avec le nez, avec la langue, avec le coeur...
lorsque les gens font la vaisselle, tondent la pelouse, font le ménage, font du sport ils pensent à ce qu’ils viennent de voir à la télé, à ce qu’ils vont faire après, à leur dernière altercation avec leur voisin , leur conjoint ou leurs enfants, à leur travail, à leur performance ou celle de leur adversaire etc...ils ne sentent plus le contact de l'eau sur la peau, l'odeur du savon, la douceur des assiettes et des meubles, l'odeur du gazon fraîchement coupé, ils ne perçoivent plus l'effort ou les parties de leur corps qui leur envoient des messages, ils ne sont pas présents à ce qui se passe...
lorsque je parle, certaines personnes ne m’écoutent pas, elles pensent à ce qu’elles vont me répondre, elles me jugent déjà dans leur tête, ou elles pensent au coup de téléphone qu’elles doivent donner...elles ne sont pas présentes à ce que nous nous disons.
Combien de fois dans la journée sommes nous ailleurs qu'à l'endroit où nous sommes censé être ? Quand je suis au bureau, je pense à ma liste de course, quand je fais les courses, je pense à l'anniversaire de Tante Adèle, quand je suis chez moi je pense au travail qui m'attend demain au bureau....Les smartphones et autres gadgets du même genre sont un barrage à la présence consciente.
La présence consciente se cultive comme un jardin... avec le moindre effort, ou plutôt juste l'effort nécessaire. Ce n'est pas un sport ni un travail et encore moins une obligation .
Cultiver le jardin des sens pour commencer : le goût, l'odorat, l'ouïe, le toucher, la vue...le sixième sens : la perception consciente. A longueur de journée nos sens sont sollicités, combien de fois en sommes nous conscients ? Combien de fois sommes nous libres d'en gérer l'intensité et les effets ?
Nos sens font l'objet d'un marché financier énorme. Des sommes phénoménales sont investies dans la publicité et autres moyens de manipulation pour accaparer et formater nos sens à notre insu.
A tel point que bien souvent nous ne "faisons" que ce qui est à la mode (prévu) en trouvant cela tout à fait normal ou naturel (spontané) !
La présence consciente conduit à choisir ce qui est bon pour nous et non ce qui est bon pour le commerce. Que ce soit à la mode ou non. Cela relève du libre arbitre, de la conscience et de l'estime de soi.
Pour être libre, je pense qu’il est important que les gens apprennent à désobéir, à résister, juste un peu !
Un peu de dissidence : dans le sens de refuser de se soumettre à une volonté, un système, une pression, une manipulation.
Il ne s'agit pas d'une désobéissance rebelle, mais d'une action qui consiste à se dépolluer d'habitudes, de schèmes de pensée, construits ou appris, voire imposés, qui s'ajoutent comme des filtres à notre façon de voir ou d'être.
C'est éclaircir le regard que nous portons sur les choses et sur les gens en prenant conscience des automatismes et des habitudes, c'est se donner la chance de voir autrement.
C’est d’abord, rechercher ce qui fait sens pour soi même...retrouver le libre arbitre et reconquérir son autonomie...spirituelle, philosophique, psychologique, financière, affective...
Cette quête suppose d'avoir accès librement aux informations, à l'éducation, aux sensations...
Combien de fois ai je entendu dire que les garçons ne devaient pas pleurer, ou que les hommes qui pleurent sont attendrissant dans leur fragilité, que l'opéra est de la "grande musique", que les ballets classiques sont la "référence chorégraphique", que tel peintre ou telle oeuvre d'art est incontournable, que tel chanteur, acteur, réalisateur sont " les références de leur époque" ...
Tout le monde a en tête ces différents festivals et leurs modes qui mettent en exergue un certain nombre d'artistes, souvent les mêmes...jusqu'à l'hommage posthume qui n'en finit jamais.
Ces "passages obligés" voudraient être les sources labellisées d'une éducation sensorielle qui pousse beaucoup d'entre nous à adopter des critères de références qui ne sont pas les nôtres. Combien d'artistes se croient obligés de citer ou de chanter Brel, Piaf, Brassens, Barbara, Aznavour ou Caruso, combien d'acteurs se croyaient obligés de faire référence à Sacha Guitry, Louis Jouvet ou Raimu pour revendiquer leur appartenance au monde des saltimbanques ?
Qui n'a pas connu un parent, un ami, un enseignant, des médias qui veulent à tout prix imposer leurs références culturelles : l'opéra, le Jazz, la musique classique, avec leur cohorte de jugements de valeurs sur vos préférences, quand on ne vous traite pas directement d'inculte.
Les médias n'ont de cesse de mettre en avant des artistes comme Pierre Soulage, le présentant comme l'artiste du siècle, à l'aide de mots créés pour l'occasion : le grand peintre du Minimalisme, la référence du Tachisme, alors qu'il ne s'agit que d'un artiste qui étale de la peinture noire sur des toiles qui vaudront des millions grâce à ce lavage de cerveau.
Paradoxalement les mêmes personnes ne tolèreraient pas qu'on leur impose une croyance, une religion, un mode de penser !
Et non ! L'émerveillement ne passe pas par ces canaux: il y a autant de sujets d'émerveillement que de personnes émerveillées, et personne ne détient le monopole de l'émerveillement contrairement à ce que l'on cherche à nous faire croire.
L'émerveillement ça se partage, mais ne s'impose pas.
D'où l'importance de rester vigilant et de se démarquer. On n'est pas obligé de s'émerveiller devant Carmen ou la Traviata, devant les ballets de Béjart, devant Brel, Gainsbourg, Bruel ou Piaf ni devant mère Térèsa. Ne pas vibrer devant un Rembrant, sur une toccata de Bach, ou le dernier roman de Yourcenar n'est pas une tare, ni l'indicateur d'un manque d'éducation. Ce pourrait être un affranchissement devant un totalitarisme.
On peut aussi bien s'émerveiller devant le groupe folklorique de son village, le concert d'un artiste inconnu ou amateur, devant l'accordéoniste du métro, certains artistes de rue valant largement ceux du showbiz, Playing for Change en est un vibrant exemple. On peut aussi bien s'émerveiller en écoutant une oeuvre de Pink Floyd qu'une pièce de Beethoven ou de Wagner. En terme d'écriture, de composition, d'arrangements, de création, en dehors de critères subjectifs peu de choses les séparent.
On peut s'émerveiller devant les tableaux naïfs des enfants de Bamako, les dessins de ses propres enfants, devant le dévouement et la créativité de milliers de bénévoles anonymes à travers le monde, devant les gestes d'un artisan, dans les pages d'un Gounelle (Laurent) ou d'un Delerm(Philippe). On peut prendre autant de plaisir à dîner chez des amis passionnés de cuisine qu'aux Trois Gros et autres temples de la bouffe étoilée.
Parce que l'émerveillement est une vibration de l'âme, une émanation de l'essence de l'être, et non une démarche intellectuelle. Personne ne détient de modèle ni d'échelle de valeur vibratoire.
Refuser de se laisser dicter ce qui serait bien pour nous demande un certain courage.
un certain courage: courage d'éviter le conformisme et d'assumer les répercutions que cela entraîne, courage pour faire face à la confrontation, pour construire et affirmer ses propres valeurs (pas celles de ses parents, de son patron, de son curé, de son Coran ou de la télé),
Le courage de chercher et de recommencer, de tenir quoi qu’il arrive parce qu’on en vaut la peine...
Ce qui n'empêche pas les moments de découragement, mais ce n’est pas de l'abandon.
Il importe de reconnaître et d'accepter les rythmes de la vie ( l'impermanence) et de se faire à l'idée que le bonheur est éphémère.
Beaucoup aimerait qu'il dure tout le temps, qu'il soit acquis une fois pour toutes, parce que ce serait plus facile.
Si les bons moments ne durent pas, ils reviennent plus ou moins vite, plus ou moins souvent selon les personnes et les conditions.
Cela veut aussi dire que le malheur est éphémère, qu'il ne dure pas et qu'il repasse plus ou moins souvent selon les personnes et les conditions...
Cela suppose d'avoir le courage d'affronter et accepter la réalité, au lieu de vouloir la fuir, la changer ou l’idéaliser. C’est apprendre à la saisir comme elle est. C’est se défaire de nos habitudes, de nos interprétations, de nos évidences, pour ouvrir un espace de disponibilité à la réalité. Créer un espace du possible.
S’émerveiller n'a rien de paradisiaque. C’est juste une rencontre crue (sans filtre) entre ce qu’on est à l’intérieur de soi et ce qui est à l'extérieur de soi (la réalité extérieure)...avec la conscience que tout ce qui est vécu est étonnant.
C'est avant tout la capacité à se laisser étonner, à se laisser surprendre par ce qui se présente: beauté d'un regard, d'un geste, d'un visage, d'une forme, d'un son, d'une ambiance, d'un parfum, d'une lumière, d'un mot, d'une attention, d'un décor, d'une situation.....
Et parfois " le destin", l'univers, Dieu, appelez le comme vous voulez, s'en mêle...
un peu de Synchronicité ou de coincidence : ce sont tous ces moments qui font que les choses semblent tomber au bon moment... c’est cette impression d’être au bon endroit, au bon moment, avec la bonne personne...sans l'avoir vraiment cherché.
Par exemple :
je regarde un coucher de soleil grandiose, sur un paysage désertique de type lunaire... c’est envoutant, à ce moment traverse une jeep qui soulève un nuage de poussière irisée par les rayons du soleil, créant un voile mobile qui s'étire à l'horizon, c’est encore plus magique, au même moment je perçois le parfum discret d'une personne qui passe derrière moi, effluve qui donne une dimension olfactive à la scène, c'est subjuguant, un autre jour je suis sur la place de Gorée et je pense à un titre de Bob Marley qui irait bien avec cette ambiance, entre les traces de la traite négrière et la nonchalance de l'émancipation, à ce moment là passe derrière moi un rasta chaloupant avec un poste qui joue le morceau de Bob Marley auquel je pensais...coïncidence....
Je pense à quelqu’un que je n’ai pas vu depuis longtemps, et au moment où je pense à cette personne, le téléphone sonne et c’est cette personne qui m’appelle...
il y a des jours où tout a l'air d'être pour le mieux, impression que chaque personne que l'on rencontre nous sourit, que la personne au guichet se met en quatre pour nous rendre service, que le patron apprécie ce que l'on fait ( ce qui est plus rare !).... Souvent on se sent pousser des ailes, persuadé que c'est nous qui sommes à l'origine de ce qui se passe.
il y a les jours où tout à l'air de mal tourner, avec l'impression que tout le monde s'est ligué pour nous rendre la journée pénible... généralement on aura tendance à croire que la vie nous en veut, et que le mauvais sort s'acharne contre nous...
Ce sont tous ces moments que l'univers a mis en scène , souvent pour notre plus grand plaisir, parfois pour nous faire réfléchir.
Si on est attentif, Il nous fait plein de surprises de ce genre.
La synchronicité ne s’entretient pas comme la présence consciente, puisqu'elle contient une part d'incertitude qui nous échappe, mais elle peut se développer en demandant de l’aide à l’univers... en restant ouvert aux signes qu'il nous envoie...
Cela arrive plus souvent qu’on le croit, mais on ne voit pas ces signes ou on ne les entend pas, parce qu’on est tellement préoccupé par le bruit qu’il y a autour et à l'intérieur de nous... parce qu'on est prisonnier de nos habitudes, parce qu'il faut tellement que tout soit rationnel, prévisible ou sous contrôle....
Peut être aussi parce que nous manquons de gratitude...
de la reconnaisance : savoir dire merci, au ciel, à Dieu, à l’autre, à l’univers, à soi même. Remercier pour ce qui se passe, pour avoir su nous rendre disponible à l'instant présent... Rendre grâce dans sa connotation la plus païenne.
C’est une façon de ne pas rester "attaché" à ce qui vient de se produire, pour rester ouvert à ce qui se présente... C’est authentifier, homologuer, clore le moment qui vient de se passer, pour s'en détacher et se rendre à nouveau disponible pour le prochain à venir.
La nostalgie et l'attachement étant le pire des freins à l'émerveillement.
La gratitude s'accompagne souvent du sentiment de plénitude qui peut aboutir au don. L'émerveillement a cette capacité de nous faire nous sentir plein de quelque chose que nous pourrions partager sans avoir à nous sentir dépossédé. Un peu comme la source qui ne craint pas de se tarir, parce que ce qui compte est ce qu'elle contient ici et maintenant. Avant c'était avant, et après on verra.
On n’est pas obligé de faire des voyages lointains pour s’émerveiller, cela peut se pratiquer dans son appartement, dans son quartier, dans sa ville, dans son pays...
C’est vrai qu’il y a des pays, des systèmes, des religions, des familles, des entreprises (ou des emplois) où ce n’est pas facile de s’émerveiller... notamment dans tout ce qui relève des jeux de pouvoir et de la tyrannie, avec un mode de pensée unique ou binaire.
J’ai pourtant lu des témoignages de prisonniers, qui, dans les camps de concentrations et dans les goulags, cultivaient l'émerveillement, ce qui leur permettait souvent de tenir le coup... (Viktor Frankl, Soljenitsyne...)
C'est vrai aussi qu'il y a des pays, des familles, des entreprises (des emplois) où c'est plus facile de s'émerveiller, parce que les gens ont une culture, un mode de vie, un état d'esprit qui nourrissent l'émerveillement ou parce que le contexte porte en lui même des sources d'émerveillement.
Alors pourquoi ne pas tenter l'expérience ?
Si vous ne la tentez pas, permettez au moins à vos enfants de le faire, pour qu'ils aient une autre version du monde que celle de Nitendo, Playstation, X Games. Apprenez leur à se déconnecter de temps en temps de leurs consoles, tablettes numériques, Mp3, ordinateur, Smartphones, iPad et iPhone, pour se rendre disponibles à ce qui est... tout simplement .
"Il ne suffit pas de se demander : quelle planète laisserons nous à nos enfants ? il faut aussi se poser la question : quels enfants laisserons nous à notre planète. " Pierre Rabhi - Vers une Sobriété Heureuse - Acte Sud - 2010
Si tout cela vous semble compliqué, plongez vous simplement dans un livre d'Aurélie Valognes (Mémé dans les orties), de Philippe Delerm (La première gorgée de bière, Le trottoir au soleil), de Laurent Gounelle (L'homme qui voulait être heureux, Le jour où j'ai appris à vivre, Tu trouveras le trésor qui dort en toi) Bien loin des gurus new-age et des intellos du bien être, ces auteur(e)s vous transporteront là où vous acceptez d'aller.
©A.P - 2018