Dans les années 70/80 j'ai eu la chance d'habiter une petite ville de province qui avait une activité culturelle plus dynamique et plus créative que la plupart des mégapoles.


Le théâtre municipal était en ébullition pratiquement toutes les semaines avec des programmations originales et variées, tant au niveau musical et théâtral, classique et moderne, qu'au niveau de la danse, du mime, ce à quoi s'ajoutaient de nombreuses conférences sur des thèmes passionnants.


Cette effervescence culturelle était contagieuse: le service culturel nous habituant à des spectacles de qualité, nous étions de plus en plus nombreux à avoir envie de tout voir, de tout connaître, nous attendions les nouvelles programmations avec impatience.

Quelque exemples parmi d'autres:

La troupe du Centre Dramatique du Nord d'André Reybaz, était devenue familière avec ses classiques.

Le Grand Magic Circus de Jerôme Savary nous a impressionnés par ses productions à plusieurs reprises, créant le trouble dans nos esprits et dans nos corps avec ses muses dévêtues.  Le mime Marceau nous a initiés au monde du silence.

Rhoda Scott, Jimmy Smith, Patti Labelle, Dee Dee Bridgewater, Eddy Louis, Luther Allison entre autres nous ont fait traverser les arcanes du Jazz et du Blues.


Nous n'avons pas eu Pink Floyd, mais Gong avec Daevid Allen et son rock progressif, Ange, Magma,Triangle, Cactus et son hard rock.

Nous avons découvert des artistes Français différents du monde de la variété et de ses reprises anglo-saxonnes: Bill Deraime, Charlelie Couture, Tom Novembre...


Nous avons eu la fierté d'applaudir un camarade de lycée passé dans la cour des grands, Michel Gladieux et son groupe de free jazz le Dharma Quintet.

Nous n'avons pas eu Ravi Shankar mais les ballets nationaux du Sénégal, du Brésil, les ballets Indiens et leur bharata natayam, des chanteurs exceptionnels comme Lokua Kanza.

Nous avions aussi accès au rêve, à l'aventure par procuration avec les conférenciers de Connaissance du monde.


A l'époque les humoristes jouaient avec les mots avec intelligence. Tout en nous faisant sourire, de façon souvent poétique, ils stimulaient nos neurones mais aussi nos âmes.   

Raymond Devos était un habitué. Certains, plus rares, nous apprenaient à regarder la vie différemment, comme Rufus et Sol.


C'est à se dernier que je souhaite rendre hommage, en même temps qu'au service culturel de la ville de Saint Quentin (02) pour l'originalité et la qualité de ses programmes. Je n'oublierai jamais cette soif de connaissance et de découverte qui s'était emparée de la ville à l'époque, dont nous sortions tous grisés, à la limite de l'addiction.


Je me souviens avoir été fasciné par la façon originale dont Sol jonglait avec les mots pour faire passer des choses essentielles. Ses textes et sa voix chaleureuse me reviennent encore lorsque je trébuche sur certaines expressions, ou quand je suis confronté à certaines situations.


Marc Favreau dit "Sol ", (1929-2005) est un "clown-clochard", quadragénaire à l'époque, sorti tout droit de Montréal. Il retenait derrière une timidité et une pudeur apparentes un regard à la fois vif, tranchant et bienveillant sur le monde et la vie.

Avec un sourire tendre et un air rêveur, il enchaînait "naïvement" des jeux de maux dont le double sens nous faisaient rire jaune.

Il nous a laissé choir lors d'un dernier cancer sans musique. Dieu a bien de la chance.


Parce qu'il a contribué à notre enchantement, je souhaite qu'il m'autorise, de la haut, à partager une de ses parts à dire :


" Moi j'ai jamais eu de chance !

Non c'est pas vrai, une fois j'en ai eu, une fois, la première fois :

je suis né le même jour que ma mère m'a mis au monde ! ça c'est de la chance, mais après, ouille...

Tout de suite après je m'ai mis à avoir peur, peur de ne plus avoir de chance

alors la chance est partie et y a resté que la peur...."


Le Fier Monde :


" Il est pas si tant tellement grand le monde. La terre est grande mais le monde est petit.


D'abord faut savoir que la terre c'est une boule toute ronde comme une pomme sauf qu'elle a pas de queue


(c'est pas grave qu'elle aie pas de queue mais c'est un petit peu embêtant pour nous, on peut jamais savoir quand elle est contente).

En tout cas elle est ronde, ça c'est sur.


Y a des drôles qui la trouvent plate mais c'est pas vrai. . .


il arrive tant tellement de choses sur la terre, elle a pas le temps d'être plate


il en arrive, il en arrive surtout du monde, tous les jours il en arrive, c'est pour ça qu'on voit plein de monde partout.. .


Mais ça veut pas dire que tout le monde se connait, non c'est plus complexe que ça  passque la terre comme c'est une boule

elle roule, elle roule dans l'expace, elle tourne, chaque jour elle fait le tour du monde mais le monde, lui, il tourne pas.


Il s'agitationne, il se bousculine, mais il tourne pas, il tourne pas rond, c'est bien connu.


Il est pas fou le monde, il veut pas perdre la boule alors il reste à la même place.


Seulement comme il est innombreux,  il est partout, partout autour de la boule, alors forcément y en a qui ont le dessus et d'autres qui ont le dessous.

Ceux qui ont le dessus sont drôlement bien c'est : les Etats riches, les Etablis, les Etats bien, les Etats munis.


Ceux-la ils ont tout, ils manquent de rien et le reste ils l'inventairent.


Et ils ont pas le temps de s'ennouiller, ils s'invitationnent,  ils sont toujours à table


une belle grande instable avec des pattes de velours couverte d'une belle grande nappemonde avec plein d'occidentelle partout.


Ceux d'en dessous alors là c'est pas pareil surtout pour dormir. C'est pas commode avec ceux d'en haut qui leur tape sur la tête.


Ils arrêtent pas d'avoir la tête en bas ceux d'en dessous. Alors quand ils veulent garder un pied à terre c'est toute une hixtoire


Mais ils restent la quand même pas question de laisser tomber passqu'ils sont fiers : c'est le FIER MONDE... !


Y en a qui disent waff le fier monde ça compte pas il se passe rien . . . Ouille! Faut pas connaitre le fier monde pour dire ça.


Il s'en passe des choses!


Surtout quand ceux d'en haut ont fini de manger et qu'ils secouillonnent la nappemonde


ils secouillonnent, ils secouillonnent et les miettes se mettent à tomber


et comme la terre est ronde la plusspart du temps ça passe tout droit


alors ceux d'en dessous ils s'en passent des choses! Ils se passent de tout!


Mais le fier monde ça le dérange pas vraiment, il est habitouillé, il s'en fait pas, d'ailleurs jamais il s'énervouille,

jamais il est pressé,


il déménage ses efforts et pourtant il arrive toujours à rejoindre les deux bambous ... Il s'en fait pas, il sait vivre.


Par exemple le matin quand il se lève la première chose qu'il fait sans se presser, il prend son café et il le plante!


Pousse café, pousse café, pousse pousse . . . !


Ensuite il prend sa canne en sucre et il s'en va au champ et là il chante, très complètement patient et curieux, toute la journée penché sur les petites plantes . . .


Jamais pressé, le fier monde, c'est comme pour manger il peut attendre des mois, des mois ...


D'ailleurs il mange prexe pas: il coupe le poivre en deux, il met de l'eau dans son bain, il fait la disette gentiment, en famine . . .


Le fier monde c'est la pluss grande sobriété de consommation!


Bien sur comme tout le monde il veut pas manger toujours la même chose. Des fois il veut changer de régime


alors il serche, il serche un nouveau régime


et même il se casse la tête pour en trouver un et quand il le trouve,  c'est un solonel !  (En général c'est un solonel)


Un gros grand solonel très fort, très dynamite qui arrive les bras chargés de bananes et qui met ses bananes au régime . . .


Et la le fier monde est content, il jujubilationne, il remercenaire le solonel, il se dévote pour lui, 


et le solonel c'est pas long, il le prend le vote et avec lui ça traine pas,  c'est toujours le vote à main armée!


Et tout le monde est content, le fier monde retourne à son chant, tout le jour il passe le temps au coton

et le solonel, lui, il le passe au tabac . . .


Attention faut pas croire que le Fier Monde se repose pas!


Apres manger par exemple il fait jamais la vaisselle, il fait seulement l'assiette.


Il s'étend sous un grand napalmier ou un gros maobab et il fait l'assiette, et comme il a pas besoin de brunir,  il se laisse griser


il dort dine . . .


Puis des fois le soir il veut s'abuser, alors il danse et il rit, il aime ça rire, il rit, il rit, il rit. Il se tornade de rire


et quand arrive la croix rouge il est content, passqu'avec elle il est sur de se payer une pinte de bon sang!


Ouille, oui alors le fier monde il sait vivre, il sait s'abuser!


Y a pas que lui bien sur. Ceux d'en haut aussi ils s'abusent.


Quand ils se font du visiting c'est pour s'abuser. Ils se font des déceptions vermouilleuses, faut voir ça!


Les premiers qui arrivent c'est les ambrassadeurs de bonne étreinte qui se font l'echanging de cosmopolitesses.


Puis c'est les chefs, des chefs drôlement bons qui pensent toujours aux autres, qui s'écoutent jamais, qui parlent avec leurs monologues, qui se font des petites affaires étrangères, dans des rencontres au sommeil passque l'ennui porte conseil. . .


Des fois les chefs ils amènent leurs pequenocrates.


C'est gentil un pequenocrate et ça dérange personne ça reste là tout humide avec sa serviette appuyé sur son dossier


ça a toujours l'air dans la pluss grande stupéfonction publique. ça bouge pas de peur de se mettre le doigt entre l'arabe et le corse . . .


Et puis quand ils veulent faire des cadeaux les chefs ils amènent des admirables et des généreux qui se lancent des fleurs, des beaux grands dépôts de géranium enrichi...


Et tout ce monde-là ça bavaroise gentiment, ça psycause de guerre et paix, ça donne des incohérences de presse tout en grignotant une petite coalition à la bonne franquiste . . .


Mais les pluss belles déceptions c'est les très énormes déceptions mondaines, quand tout le monde est là, quand toutes les Inanitions Unies sont là ...


ça mange! et ça documange !


Faut dire qu'ils sont là pour ça et qu'y a de quoi manger: la veille ils ont fait leur marché en commun et la table est pleine


y a des tonnes et des gloutonnes d'aliments pour tous les gouts: des aliments de l'ouest et de l'est...


Faut les voir alors se jeter sur la soupe comme des anthropotages et ensuite ils se rempiffrent avec la gelée latine puis ils se nourrissonnent de yogourt slave . . . et quand arrive le steak,  le grand steakoslovaque ils sont contents:

c'est le plat de résistance, ils se dardanellent dessus


ils le bifteckent et le vivisectionnent en tous petits moscovites qu'ils avalisent diplomatique à toute vitesse . . .


Puis c'est la fricassée qu'ils dévorationnent jusqu'au bout couss que couss avec des petits points chauds, beaucoup de petits pigments et très énormement de sahel...


Et même après ça ils ont encore faim.


Faut les voir quand arrive le desert, un grand desert porté par des Arabes en espadrilles de mystères!


un desert fabuliquement riche servi dans une grande assiettée muftinationale .. .


un desert plein de mirages qui donne des israellusions (les Arabes avec leur desert ils y vont pas de mer morte!)


C'est riche! C'est des mille de cent trente-cyprioches! Toutes les unes contre les autres entourées de turcreries


et arrosées de sirocco . . . ! C'est riche!


Alors ils se goinfriandisent atroxement et le pôvre desert, c'est pas long, il reste que des niets ...


Et c'est pas tout. Dans les grandes déceptions mondaines, ils font pas rien que manger,  ils buvardent aussi et pas n'importe quoi,  pas de l'eau de Pologne, du vrai vin


ils se versaillent de grands verres de vergogne,  et ça buvarde, et ça buvarde et bientôt tout le monde est très gai, très pharisien, et ça se met à crier: Vive la transe!


(Y en a, bien sur, qui aiment pas le vin comme les deux pluss grandes des inanitions unies: l'amnésique du nord et la répudique qui a des soucis réalistes.)


Ces deux grandes fofolles elles aiment pas le vin alors on leur laisse la bière froide.


Et ça buvarde et ça se hongrise et ça tombe dans la pire bulgarite !


On en voit qui ont tant tellement le boyau muni qu'ils laissent tomber la grande bretelle ...! Ils s'en font deux guirlandes et ils tirent dessus . . .


Et c'est la que se déclenche la course aux ornements:  tout le monde devient fou, même les alliés de toujours,  même les alliés-nés . . .


Et puis y a ceux qui ont le vin trixte comme la clique du sud, povre clique du sud, elle peut pas buvarder, elle fait une répression nerveuse. Elle reste dans son coin, elle broie du noir (en aparthé).


Y a ceux qui prennent le nord aux dents et le nord se laisse pas faire il se scandinave, il se péninsulte . . .


Y a ceux qui perdent la tête, qui décapitulent et qui se retrouvent comme des trépanations ...


C'est épouffroyable c'est un macao terriblifique : l'ethmyopie se tape le négus,  partout la belle gifle son flamand,


on s'arrache les cinq condiments, on se tire sur la pipeline, on déterre les moratoires, on se traite de musulmenteurs


et ça petarabe, ça petarabe, ça petarabe . ..


L'indigne nation s'empare des diplotomates et les lance partout sur la nappemonde, et ça, les serviettes aiment pas ça, surtout la serviette suprême ...


Les serviettes volent partout et ça métaformose la chine.


les serviettes frappent,  l'amnésique se fâche, elle pique une protocolère , l'amnésique sort de ses gonds et les serviettes cognent, les serviettes cognent de pluss en pluss


c'est la salade, la salade de la violette qui monte de pluss en pluss violette, jusqu'au bout,  jusqu'à perpétrole,  jusqu'à l'épuigisement... !


Puis ça se calme.


Forcement. Apres l'épuigisement ils ont plus de force!


Ils ont même plus la faible petite force de se lancer des olives nucléaires . . .


Heureusement pour la vieille qui nettoie les dégâts à mesure. La vieille démocrasseuse.


Elle serait pas d'accord avec les olives,  pour elle ça serait inadmissile, elle qu'est déjà tout alarmée, toute pentagonisante,  avec un pied dans la tombe atomique.


Elle aurait bien trop peur de plus jamais être capable de faire le ménage de sa purée publique,


Elle aurait trop peur de plus jamais être fière de son monde ...  Pôvre vieille démocrasseuse . . . !"     

  


Merci à toi Marc....Débride un peu ceux que tu côtoies là haut pour qu'ils redeviennent bienveillants avec les hommes....

Hommage à Sol - Marc Favreau...

...et au service culturel de Saint Quentin