yacouba Savadogo


"L'homme qui arrête le désert"

Je ne connais pas Yacouba personnellement, j'ai simplement vu une émission sur lui à la télévision, sur France 5 le 22 mai 2011.1

Cela m'a donné envie d'en savoir plus et de découvrir qu'une fois encore, un petit homme au fond de sa campagne Africaine, ré-invente une technique écologique de culture qui peut sauver non seulement un village, mais aussi l'agriculture de nombreuses régions d'Afrique.


Je regrette que ces émissions ne soient diffusées que tard le soir, une fois de temps en temps. C'est pourquoi je souhaite partager et faire savoir que d'autres solutions existent.

Quand prendrons nous le temps de nous pencher sérieusement, et longuement sur des initiatives qui pourraient rendre le monde plus vivable et plus sécure, en dehors des rapports de force des lobbies financiers et agro-alimentaires ?


J'imagine bien Pierre Rabhi créant une université internationale des savoirs indigènes, où se réuniraient périodiquement des gens comme Yacouba, Sanjit Bunker Roy, Vandana Shiva et de nombreux autres initiateurs dans tous les domaines, pour répertorier et transmettre leur sagesse et leurs savoirs. Ne laissons pas perdre ces connaissances. Pourquoi n'assortirait-on pas cette université d'une coopérative de micro-crédit, qui à l'abri des spéculateurs et d'intérêts personnels, permettrait d'aider la réalisation de ces projets ?


Yacouba Sawadogo, l’incomparable forestier

Dans le village de Gourga, au Burkina Faso, vit un vieil homme de 60 ans, Yacouba Sawadogo, président de l’Association Zaï pour le développement du Sahel.

Il a ré-inventé le zaï forestier. Sur une terre inculte comme il n’en existe nulle part, il a entrepris de régénérer 20 hectares.

Son œuvre a débuté en 1970 au moment où tous les jeunes de son âge (il avait 30 ans) fuyaient le village. Passant pour fou, il a tenté de reconstituer une savane arbustive dans une zone complètement inculte et aride.

La technique utilisée consiste à combiner la régénération naturelle assistée et le zaï. La végétation ligneuse qui pousse dans les trous de zaï est protégée pour les années suivantes. Il a planté toutes sortes d’espèces. D’ailleurs, c’est avec beaucoup de fierté qu’il présente à ses visiteurs le premier arbre (Cassia siberiana) qu’il a planté il y a de cela 32 ans.

Sayouba a conçu des petits bassins qu’il remplit d’eau tous les jours afin de faire revenir dans sa forêt les oiseaux qui ont fui les lieux, à cause de la sécheresse.

Le zaï et le compostage ou Comment Rendre féconds des sols incultes

le zaï est une forme particulière de culture en poquet qui permet de concentrer l’eau et la fumure dans des micro-bassins où les graines seront semées.

Le zaï est une technique traditionnelle provenant de la zone de convergence du Mali, Niger, Burkina Faso, abandonnée pendant longtemps et réutilisée après les périodes de sécheresse par la population Nord Burkina Faso (Yatanga). Cette technique est restée pendant longtemps considérée comme anecdotique par les chercheurs mais rentre aujourd'hui dans les technique de Conservation des Eaux et des Sols (CES).


Le zaï est une forme particulière de culture en poquet qui permet de concentrer l'eau et la fumure dans des microbassins où les graines seront semées.

Pendant la saison sèche les trous (30-40cm de diamètre, 10-15cm de profondeur) sont creusés en quinconce tous les 80cm à la daba (pioche à manche courte), la terre retirée est déposée en croissant en aval des trous, la rugosité de la surface est ainsi améliorée : le ruissellement, la vitesse du vent et donc l'érosion sont limités.


Préparer la terre si tôt permet le piégeage de sables, limons et matières organiques transportés par l'Harmattan dans les poquets. La surface de sol qui n'est pas travaillée autour des trous sert d'impluvium, et permet donc d'augmenter la quantité d'eau retenue dans les poquets.


Juste avant ou dès les premières pluies, l'agriculteur dépose une à deux poignées de poudre de matières organiques séchées au soleil (1 à 3 t/ha) dans chaque microbassin. Les matières organiques vont attirer les termites qui creusent des galeries jusqu'à la surface ; ces structures biogéniques tapissées de fèces riches en minéraux permettent l'infiltration de l'eau et la formation de poche d'eau en profondeur qui sont exploités par les racines entredeux pluies.


Le paysan peut également ajouter des amendements minéraux s'il a les moyens. Il recouvre le tout d'un peu de terre afin que les matières organiques ne soient pas emportées par le ruissellement dès les premières pluies importantes. En même temps ou quelque temps après, plusieurs graines sont semées dans chaque poquet, c'est leurs forces de poussée réunies qui permettra de soulever la croûte de sédimentation déposée au fond du trou.


Au début des années 80, des agriculteurs de la région du Yatenga situé sur le Plateau Central fortement peuplé du Burkina Faso ont développé – de leur propre initiative – des méthodes de réhabilitation des terres dégradées en améliorant les poquets traditionnels de semis connus sous le nom de zaï. Dans les petits trous creusés dans le sol latéritique stérile, les agriculteurs mettent de la matière organique qui attire les termites. Celles-ci creusent de petites galeries dans le sol et améliorent la structure du sol, de sorte que l'eau peut s’y infiltrer et être conservée.

En digérant la matière organique, les termites rendent les nutriments plus facilement disponibles aux racines des plantes. La plupart des agriculteurs cultivent du mil ou du sorgho ou les deux céréales dans les zaï. Parfois ils sèment des graines d’arbres directement avec les céréales dans les mêmes poquets. De cette façon, les jeunes arbres profitent également de la concentration d'engrais et d’eau dans les poquets, destinés en priorité aux céréales.

Lorsqu’ils moissonnent le grain, les agriculteurs coupent les tiges à une hauteur de 50–75 centimètres. Les parties des tiges qui restent debout protègent les jeunes plants d'arbres du bétail qui pâture traditionnellement dans les champs moissonnés. Ainsi, le zaï est utilisé pour créer ou restaurer des bosquets, en vue de vendre le bois et d'autres produits.

Forts de cette expérience, les initiateurs du Zaï tentent de partager leurs connaissances sous plusieurs formes  pédagogiques:
" jour de marché ", au commencement, ces rassemblements étaient petits, actuellement chaque jour de marché attire des agriculteurs d'une centaine de villages. Les rassemblements se tiennent deux fois par an.

Le premier jour de marché se tient peu de temps après les récoltes, et les agriculteurs apportent un échantillon des différentes variétés de cultures (mil, sorgho, maïs, niébé) qu’ils ont cultivées dans leurs zaï.

Yacouba stocke ces graines chez lui. Le deuxième jour de marché se tient juste avant la saison des pluies. Parmi les graines stockées, les agriculteurs peuvent choisir les espèce et les variétés qu'ils voudraient semer dans leurs zaï, prenant en compte les améliorations survenues.

Chaque jour de marché a un thème particulier. Par exemple, un jour de marché est consacré à la culture du sésame. Un autre thème est l'utilisation du zaï pour faire pousser des arbres directement à partir de la graine. A chaque jour de marché, il y a également une exposition des outils locaux utilisés pour creuser les zaï. Cela permet aux agriculteurs d'autres régions de voir eux-mêmes quels outils peuvent être utilisés et d’apprendre où ils peuvent les acheter.

Les agriculteurs impliqués dans les marchés du zaï ont créé des " Association de Groupes de Zaï pour le Développement du Sahel ", en vue de mobiliser un appui financier ou du matériel extérieur pour diffuser la technologie du zaï.
Beaucoup de visiteurs viennent à sa ferme, et les recevoir prend beaucoup de temps. La solution qu'il a trouvée est de demander une " contribution " de chaque visiteur. Ceux qui viennent de l'étranger sont invités à planter un jeune plant d'arbre, que Yacouba Sawadogo a fait pousser dans sa propre petite pépinière, et les groupes d’agriculteurs venant d’ailleurs au Burkina Faso ou d'Afrique de l’Ouest sont invités à creuser quelques zaï dans son champ. Cela constitue également une sorte de formation sur le tas.


Yacouba Sawadogo veut montrer que la dégradation environnementale n'est pas irréversible et qu'il est possible de gagner sa vie en cultivant dans sa région.

"enseignant-élève"  dans le village de Gourcy, Ali Ouédraogo, un agriculteur innovateur très expérimenté, a beaucoup investi dans l’amélioration du zaï en le combinant avec l’application du compost, la plantation d’arbres et la protection des arbres et des arbustes qui régénèrent naturellement le sol. Il a formé différents agriculteurs dans cinq villages près de Gourcy et leur rend régulièrement visite pour travailler avec eux directement dans leurs champs. Il fait cela pour leur montrer comment il utilise le zaï, pour leur donner des conseils et pour échanger des idées avec eux.

Certains de ses élèves ne se contentent pas seulement d'adopter ce qu'il suggère. Ils effectuent leurs propres expériences basées sur son idée originale et développent des adaptations de cette idée. Par exemple, un agriculteur, Hamadé Bissiri, trouvait que les zaï d’Ali étaient excessivement grands et demandaient beaucoup de temps et de force physique pour les creuser. Tout le monde ne peut pas faire cela. Hamadé Bissiri a donc modifié la disposition et les dimensions des zaï pour convenir à sa capacité. D'autres agriculteurs ont expérimenté l’application de différentes quantités de matière organique au moment du semis ou de la plantation dans les poquets.

Depuis 1993, Ali a formé douze agriculteurs. Ses " élèves " à leur tour, forment d'autres agriculteurs aux techniques améliorées du zaï, à leur demande. Ces agriculteurs-formateurs ne sont pas payés pour leurs services. Leur principale récompense est l’estime sociale qu’ils en retirent, mais cela est parfois accompagné de cadeaux d'appréciation (poulets, noix de cola ou un repas).


" école de zaï sur le terrain " Dans le village de Somyanga dans la région du Yatenga, Ousséni Zoromé a lancé l'approche " École de zaï sur le terrain ". En 1992, il a commencé à former quelques agriculteurs locaux sur la manière de faire de bons zaï. Pour cela, il a choisi le site le plus pauvre possible, immédiatement à côté de la route bitumée reliant Ouahigouya à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Les sols à cet endroit avaient été complètement détruits par les bulldozers qui construisaient la route. Les agriculteurs utilisèrent les différentes améliorations sur la technique du zaï, telle que l'application de matière organique (compost ou engrais) et l’utilisation de variétés adaptées de céréales, et évaluèrent les résultats ensemble. Ils réussirent à réaliser une récolte de millet de 400 kilogrammes à l’hectare sur cette terre très pauvre. Tous ceux qui voyageaient sur cette route principale remarquaient immédiatement cela, parce que c'était une année de sécheresse extrême et beaucoup de cultures avaient échoué. En outre, le ministre de l'agriculture vit la parcelle et fit venir une équipe de la télévision nationale pour la filmer.

Ousséni Zoromé commença alors à organiser plus de groupes d’agriculteurs, qu'il appela des " Ecoles de Zaï sur le terrain ". Chaque groupe doit réhabiliter collectivement un lopin de terre dégradée. De cette manière, tous les participants sont formés sur le terrain. Les rendements obtenus sur le lopin de terre réhabilité sont en partie partagés entre les membres de l’Ecole et en partie utilisés pour acheter les intrants agricoles et les outils nécessaires pour expérimenter le zaï. Les expériences conçues par les agriculteurs comprennent une comparaison de l'impact du compost et de la fumure non-décomposée et l’expérimentation d’une variété de millet précoce qui est rare dans la région du Yatenga.

Ousséni Zoromé et les groupes d’agriculteurs qui ont formé les Ecoles de Zaï sur le terrain ont largement promu à la fois la technologie améliorée et leur nouvelle approche à la vulgarisation.

Ils ont maintenant formé une union régionale – l'" Association pour la conservation de l'eau et des sols au Yatenga " – qui comprend environ 50 groupes d’agriculteurs dans cinq Départements de la région. Cette association a installé un site d’apprentissage pratique sur le zaï dans chaque Département.

Chaque groupe d’agriculteurs paye une contribution de 5000 CFA  pour devenir membre d'une union régionale. Ousséni Zoromé n'a personnellement reçu aucun soutien matériel pour son travail volontaire de vulgarisation excepté de temps à autre un peu de carburant pour sa moto de la Direction Régionale de l’Agriculture. Habituellement, cependant, il achète son propre carburant.
Le succès des Ecoles de Zaï sur le terrain s’est étendu au-delà des frontières de la région du Yatenga. Des membres de l'Association ont reçu des visites d’agents du développement venant d'autres régions du Burkina Faso qui étaient intéressés d’en savoir plus sur les écoles de zaï sur le terrain, et des membres de l'Association ont accueilli des groupes d’agriculteurs venus pour apprendre d'eux. Ces stagiaires rentrent chez eux non seulement avec de nouvelles connaissances mais aussi habituellement avec quelques semences et/ou outils qu’ils utiliseront dans leurs propres expérimentations du zaï.

Les chercheurs et les agents de vulgarisation formels qui ont été témoins du succès de cette initiative reconnaissent que c'est un modèle pratique de développement participatif de l'innovation qui met les agriculteurs au centre d'un processus auto-piloté d'apprentissage et de partage.

Cela a abouti à la présentation de ces techniques lors d'une foire sur l'innovation locale par les agriculteurs, qui s’est tenu en mars 2004 à Ségou, au Mali, où Ousséni Zoromé a présenté les expériences de ses Ecoles de Zaï sur le terrain.

Au cours de la réalisation du reportage de la télévision Française, en 2011, nous découvrons que le gouvernement Burkinabé envisageait de raser cette terre cultivée par Yacouba, pour réaliser une extension des quartiers qui la jouxtent.

Lors de son séjour aux Etats Unis, et de  son passage au colloque Oxfam sur le thème "Reverdir le Sahel", Yacouba, a profité de l'audience qui lui était accordée pour faire part de son inquiétude concernant ses cultures et leur anéantissement par l'expansion urbaine. Le soutien et l'attention que son expérience a suscité semblent avoir gelé momentanément le ""rouleau compresseur administratif", jusqu'à ce qu'on aie un peu oublié Yacouba et sa terre fertile.


Alors pour que ce genre d'initiative ne soit pas anéantie par la politique, n'oublions pas Yacouba, et ses amis agriculteurs fertilisateurs de désert .


1 L'homme qui arrêta le désert - de Mark Dodd- 1080 Film and Television LTD