Comme pour beaucoup de mes congénères, le génocide est pour moi le pluriel d'homicide avec une nuance qui tient au fait que le mobile vise davantage l'autre dans sa différence.


J'observe cependant que parmi tous les grands massacres de notre histoire mettant en opposition des groupes ethniques, culturels, politiques, tous ne sont pas reconnus comme étant des génocides.


Pourquoi ces différences?


Dans une première partie, il est proposé de relire des faits afin de se remémorer le contexte, le processus, de dégager des similitudes et des différences, s'il y en a.


Depuis la dernière guerre mondiale, les massacres et les génocides s'enchaînent et se médiatisent. Nous sommes de plus en plus interpellés par leurs images d'horreur.


J'observe que le génocide des "juifs" est celui dont on parle le plus souvent. S'il est le massacre de référence, comment expliquer que les autres restent dans son ombre?


Dans une seconde partie une table ronde d'experts, historiens, sociologues, témoins apporte un éclairage, sur cette différence entretenue par les discours officiels.


Des massacres d'une telle ampleur, d'une telle violence ne peuvent se résumer à des appréciations d'experts, d'autant qu'il y a peu d'analyses, rarement désintéressée, à propos des mécanismes humains, sociologiques, psychologiques qui sous tendent ces massacres. On constate qu'il y a eu massacre, mais quelles sont les causes profondes qui se dissimulent derrière les enjeux politiques, religieux, ethniques ?


Comment expliquer que tant de personnes soient prêtes à s'entre-tuer et passent à l'acte?

Comment admettre que cela se passe sous les "yeux du monde"  souvent en toute impunité?


Une troisième et quatrième partie abordent l'approche théorique et psycho-sociologique du génocide.


Une cinquième partie traite de l'environnement du génocide.


Enfin, à quoi servent ces films, ces débats, ces "plus jamais ça", ... Y a-t-il une prévention possible et concrètement comment cela se passe-t-il?


Une sixième partie abordera la prévention telle que la perçoivent la revue Alternatives Non Violentes et Alain DEXTEXHE, sachant qu'il y a très peu de publications et de débats sur une véritable prévention.

       

" Racisme", ethnocentrisme, guerres et génocides me préoccupent depuis longtemps. C'est ce qui m'amène à développer modestement ma propre approche de ces phénomènes et de leur prévention dans une septième partie.


1.Pour mémoire, entre autres....


Depuis l'antiquité les massacres et les génocides se développent, tant pour des raisons ethniques, culturelles, religieuses que coloniales. Au nom de la supériorité d'un groupe, des nations ou des ethnies en massacrent d'autres.


Le livre collectif dirigé par Guy Richard1  en fait une compilation,  au cours de notre siècle:


  1. - 1878 - 1916         ARMÉNIE 1 200 000 morts tués par les Turcs/Ottomans. L'appellation génocide est officiellement            

                              autorisée seulement en 2001


  1. - 1915                    Massacre des Assyriens par les Turcs/Ottomans (275 000 morts)


  1. - 1916- 1924           Massacre des Grecs Pontiques par les Turcs/Ottomans ( 500 000 morts)


  1. -1904 - 1911           NAMIBIE: 60 000 Hereros exterminés par Lothar von Trotha et les troupes allemandes

                                  


  1. -1932 - 1933            UKRAINE:  6 millions de personnes poussées à la mort par la faim,  par Staline. Plus de 2 millions de

                                fusillés, 9 millions de déportés


  1. -à partir de 1937       le Japon massacre des gens par milliers pour étendre sa suprématie : Chine, Corée, Thailande,

                                Indonésie, Philippine


  1. -1941 - 1945            ALLEMAGNE tentative d'occupation de l'Europe, massacre des Juifs, des Polonais, des Tziganes,

                                des Communistes  -  10 Millions de victimes


  1. -1947 à ce jour        CHINE: 43 Millions de personnes exterminées ou mortes dans les camps de Mao Tse Toung

                                16 millions de déportés


  1. -1945                     Hiroshima 75000 morts  Nagasaki  75000 morts pour mettre fin à l'hégémonie Nippone dans l'Asie

                                du sud est                                                  


  1. -1947                      INDE: partition Indo-musulmane :  suicides collectifs et nombreux massacres. Du côté musulman

                               comme du côté hindou, près de 75 000 femmes sont enlevées, violées, torturées et humiliées

                               publiquement (seins coupés). 15 millions de réfugiés franchissent la frontière dans les deux sens.

      

- 1951                    TIBET: persécutions et massacres. Déportation des tibétains par l'armée de Mao Tse Doung


  1. -1965 - 1966           INDONÉSIE  Djihad islamique et massacre des athées, des chrétiens , des hindous

                                (1 000 000 de morts)


- 1966 - 1971           BIAFRA nettoyage ethnique


- 1970 - 1971           BANGLADESH: Djihad islamique. 10 millions de réfugiés hindous arrivent en Inde


  1. -1965- 1973            VIETNAM : massacres du Vietnam du Sud par le Nord avec l'appui des Chinois, massacres des

                               populations communistes par les U.S.A.


- 1968 - 1979           CAMBODGE  3 000 000 de morts par les Khmers Rouges de Pol Pot


- 1984 - 1986           ETHIOPIE plus de 500 000 morts exterminés  par le Deng


- 1991 - 1992           SOMALIE à suivre...


  1. -1992  à ce jour        SOUDAN: Djihad islamique contre les tribus Noubas (40 000 Noubas). Déportations,

                                 conversions, exterminations, esclavage.


- 1992-1996              BOSNIE à suivre...


  1. -1959 - 1997            BURUNDI / RWANDA  plus de 800 000 morts 


  1. -1993 - 2003            Congo  4 500 000 morts ( Le principal obstacle à la qualification de génocide des massacres congolais

                                vient de la constatation que ces massacres sont divers, opérés par des acteurs divers, aux mobiles                    

                                divers. Seul le nombre de victimes et l'atrocité de certains massacres, évoquent l'idée d'un génocide)


  1. -2003 à ce jour         Soudan/Tchad/ Darfour : extermination (+ de 200 000 morts), déportation, exode de 2 millions

                                de personnes, nettoyage ethnique organisé par l'armée et les bandes islamiques fanatisées janjawids .



    Ainsi que tous ceux dont on ne parle pas ou peu parce qu'ils ne sont pas médiatiques ou parce que les enjeux ne sont pas "essentiels" pour les autres nations; parce que le nombre des victimes n'est pas "important", tels que les massacres inter-ethniques dans la province de l'Assam en Inde, le massacres de Sicks en Inde, le massacre et les déportations d'indiens en Amérique du Sud, l'extermination des Noubas en Somalie, et toutes les ethnies qui sont l'enjeu de luttes fratricides et de dictateurs dans plus de la moitié des pays d'Afrique...


Quelques exemples de massacres qui relèvent d'un génocide :


1.1. L'Arménie  ( 1878 - 1916 )


                       
    source :     Christian de Stepanian   membre de la solidarité Franco-Arménienne


               

L'Arménie, ( six provinces d'Anatolie orientale ), est sous la domination Ottomane depuis le 16ème siècle.

C'est une enclave minoritaire chrétienne qui subit des impôts spéciaux, l'interdiction du port d'armes, l'interdiction de témoigner devant les tribunaux.


L'empire Ottoman est en pleine expansion. Il occupe le Maghreb, quelques régions d'Europe et du Moyen Orient.

Cette expansion inquiète et irrite les pays d'Europe.


La Russie tente de démembrer cet empire par le Nord et tente d'annexer une partie de l'Arménie.

Les pays d'Europe imposent à l'empire ottoman des réformes constitutionnelles pour garantir la sécurité des sujets non musulmans. Le sultan Abdul Medjed n'a jamais appliqué ces réformes.


Le 29.03. 1913 . l'Arménie se dote d'une constitution nationale s'érigeant en nation au sein de l'empire ottoman.

1878: guerre russo-turque . Le traité prévoit le retrait des troupes russes des provinces arméniennes s'il y a application des réformes.


Traité de Berlin, (juillet 78), Abdul Hamid II s'engage à appliquer les réformes et à garantir la sécurité de l'Arménie, notamment contre les Circassiens et les Kurdes.


Abdul Hamid II ne tient pas ses engagements et va jusqu'à introduire des Circassiens et des Kurdes dans les provinces arméniennes pour saper l'unité arménienne. Il fait intervenir des "mercenaires" kurdes pour semer la terreur.


Les Arméniens s'organisent: mise en place d'une résistance, développement du  nationalisme et d'une renaissance culturelle. Constitution d'une branche révolutionnaire qui réclame l'application de l'article 61 du traité de Berlin.

Les Arméniens se révoltent et refusent de payer un impôt aux irréguliers kurdes. Répression - > 5 000 morts.


Les pays européens redemandent des réformes. Le sultan promulgue un décret et des mesures en faveur de l'Arménie.

En même temps commencent des massacres de grande envergure. Pillages, viols, destructions de villages, conversions forcées, saccages des églises et des couvents.

Des Arméniens commencent à s'exiler en Russie.


Devant le manque de réaction des pays d'Europe, le parti révolutionnaire arménien s'empare de la banque ottomane en guise de protestation et pour attirer l'attention.


1908 : Putsch militaire des " jeunes turcs " qui renversent Abdul Hamid II.


Profitant de l'instabilité de l'Empire Turc, l'Autriche-Hongrie annexe la Bosnie-Herzégovine, la Grèce annexe la Crète, la Bulgarie proclame son indépendance, l'Italie s'empare de la Tripolitaine et du Dodécanèze. L'Empire perd ses territoires européens après avoir perdu ses territoires du Maghreb.


Les jeunes turcs renforcent leur nationalisme et projettent l'élimination de l'élément arménien devenu " bouc émissaire


08.02.1914 : Pourparler et signature d'un accord de projet de réforme prévoyant une autonomie locale pour l'Arménie. La déclaration de la 1ère Guerre Mondiale empêchera l'application des réformes.

Avec la guerre, la Turquie se range au côté des Empires centraux. Les Arméniens sont appelés à défendre la Turquie et se trouvent confrontés à des Arméniens ayant rejoint la Russie.


La volonté des Arméniens Russes de libérer les Arméniens Turcs de la domination ottomane est vécue comme une trahison.

Les jeunes turcs attribuent leur défaite aux arméniens et proclament la Djihad de novembre 1914 contre les Arméniens: élimination de l'élément arménien vivant dans l'Empire.


Un plan d'extermination est élaboré et confié aux gendarmes et à une organisation spéciale dirigée par des notables et composée de criminels de droit commun amnistiés pour la circonstance, organisation systématique de déportation.

Il y avait à l'époque 1 800 000 arméniens en Turquie.

Massacrés et accusés d'avoir collaboré avec les Russes, les Arméniens se soulèvent. Les jeunes Turcs se déclarent en "légitime défense", arrêtent et exécutent les intellectuels.


Confiscation des biens: une loi est votée le 16.05.1915 prévoyant l'installation de familles turques dans les habitations et sur les terres arméniennes.


27.05.1915 : Loi autorisant les officiers à déplacer les populations. Élimination quasi immédiate des éléments masculins.

Les convois de femmes, d'enfants, de vieillards sont décimés en cours de route, victimes des Kurdes, des pillards, des gendarmes, des conditions de déportation. De partout convergent des convois vers les déserts de Syrie et de Mésopotamie.

200 000 arméniens parvinrent à échapper au massacre en rejoignant la Caucase. 20 000 ont été convertis par la force à l'islam, les autres ont été exterminés.


Au terme de la déportation, ils se sont entassés dans des camps de concentration, réduits à la famine, minés par les maladies, soumis aux sévices des gardiens, puis anéantis.


Le 10.08.1916: Le gouvernement turc abolit la constitution arménienne.

Sur 1 800 000 Arméniens vivant en Turquie, 600 000 ont été massacrés sur place, 600 000 l'ont été sur le chemin et sur les lieux de déportation.  2/3 de la population arménienne de Turquie a été anéantie.


En 1922: Loi prévoyant la confiscation des biens de ceux qui ont quitté le pays.

En 1927: Loi excluant de la nationalité turque ceux qui n'ont pas participé à la guerre au côté de la Turquie.

Les enfants ont été massacrés pour qu'il n'y ait pas de survivants qui reviennent venger leurs pères



1.2. Le Biafra ( 1966 - 1968 )


             
source:    F. de Bonneville - " Mort du Biafra "   Solar Gamma - Paris 1968


Le Nigeria est peuplé de 250 groupes ethniques répartis en 3 " grandes familles ": les Haousas au nord (13 millions), les Yoroubas au centre ouest (13 millions), les Ibos au sud ouest (8 millions).


Le Biafra: région la plus riche, pétrole, charbon, caoutchouc, huile de palme, cacao, se trouve au sud, en bordure de côte, est peuplé d'Ibos.

Avant le 19ème siècle: le nord était orienté dans le commerce avec l'Afrique du nord et le Moyen Orient, grâce aux caravanes transsahariennes. Cette région a été islamisée dès le 10ème siècle.

L'islam ne parviendra pas à traverser la forêt qui sépare le nord du sud


A partir du 19ème siècle: les marchands et les missionnaires européens, débarqués sur les côtes du Golfe de Guinée introduisent la religion et l'éducation chrétienne dans les tribus de la côte.

Les britanniques garantissent aux Émirats du nord que les missions ne s'y installeront pas.

Les sudistes, ouverts au progrès et au commerce avec l'Europe, prirent de l'avance sur les nordistes et commencèrent à occuper les postes clefs dans le pays.

L'unification des provinces sous la coupe des britanniques, pour fonder le Nigeria, ne correspondait à aucune logique ethnique et attisait l'irritation et la rivalité des ethnies.


La minorité Ibos se regroupe dans les villes, en fonction des emplois, quittant le Biafra, leur territoire d'origine.

En 1944, Sir Arthur Richards renforce le processus en adoptant l'idée du régionalisme et en accordant une certaine autonomie à chaque région sur la base d'un fédéralisme.


D'où la naissance de partis séparatistes qui revendiquent le gouvernement du pays.


L'indépendance accordée le 1er octobre 1960 aboutit à un gouvernement de coalition, présidé par le Docteur Azikiwé, avec un premier ministre dans chacune des 3 régions.

En 1963, le Nigeria décide de se séparer de la tutelle de l'Angleterre et s'instaure en république.

Le parti nordiste, majoritaire, remporte les élections et renvoie les Ibos de leurs postes, les remplaçant par des nordistes.

   

Le 15 janvier 1966, les Ibos tentent un putch militaire contre le gouvernement. Le général Agoyi Ironsi prend le pouvoir, exécutant les premiers ministres.


Les nordistes réagissent en commençant le massacre des Ibos. Ils font un putsch et remplacent tous les dirigeants Ibos après les avoir exterminés.


Le 1er août 1966, le lieutenant colonel Yakabu Gowon prend le pouvoir et ordonne la persécution des Ibos.

Disséminés dans toutes les régions, les Ibos se replient vers leur territoire d'origine.

Pendant leur exode, ils sont massacrés par l'armée nordiste et par les populations encouragées à participer au massacre des " envahisseurs " sudistes.


Les Ibos se vengent sur tous les nordistes qu'ils rencontrent et réclament leur indépendance refusant d'être dominés, gouvernés par les nordistes.


Le 6 juillet 1967, c'est la guerre entre Nigériens et Biafrais.


L'ordre est donné à l'armée fédérale de tuer tous les mâles de plus de 7 ans, ordre qui sera exécuté avec zèle. Car si le Biafra s'est constitué une armée, l'armée fédérale ne s'en prenait pas qu'aux militaires.

Il y  eut de véritables massacres dans les écoles, les églises où se réfugiaient les enfants, les femmes et les vieillards.

On cite de nombreux cas d'enfants embrochés, rôtis et mangés par les belligérants.

Pillages, viols, rien n'était épargné par l'armée nigérienne, qui était soutenu par des cadres britanniques et soviétiques.


On notera aussi la présence de mercenaires français et allemands autour des troupes biafraises.


En juin 1968, n'arrivant pas à mettre fin à cette guerre de maquis, l'armée et le pouvoir nigérien décident de faire le blocus du Biafra: commence alors une grande famine  agrémentée d'épidémies.

Les avions de l'aide humanitaire, (Croix Rouge et Caritas), sont abattus par la D.C.A.2  nigérienne. On dit même que l'armée nigérienne introduisait de l'arsenic dans les sacs de farine destinés aux camps  biafrais.


L'O.N.U.3 n'a fait que formuler des protestations et l'O.U.A.4  interviendra dans une tentative de pourparlers à Addis Abbeba.

Devant le million de victimes, les U.S.A., le Vatican et les pays scandinaves ont réagi.

Le 4.09.1968, le premier ministre suédois a demandé à Gowon de ne pas empêcher l'assistance humanitaire en faveur des populations civiles.


Ce sont les journalistes qui ont mobilisé l'opinion mondiale, avec cette première médiatisation de massacre du siècle, qui ont obtenu que l'aide humanitaire puisse intervenir, mettant les fédéraux et leur support britannique dans l'embarras.


Jean Bulber5 : " Le conflit Nigéria-Biafra, une guerre de sécession qui a commencé par un génocide s'est poursuivie par un exode, a tourné à la campagne d'extermination par les armes et la faim".       



1.3. Le Rwanda ( 1959 - 1994 )


          
  sources :    Alain Destexhe - Secrétaire général de M.S.F.

                                Rwanda essai sur le génocide

                                Éditions Complexe - Paris, 1994

                                Article "Les clés du génocide"

                                Sciences et vie - Hors série, janvier 1995.



La question des origines des Tutsis et des Hutus est obscure.

Certains chercheurs affirment que les Tutsis viennent des rives du Nil, peut-être de l'Égypte. Éleveurs qui auraient poussé leurs troupeaux jusqu'à s'installer dans les régions du Rwanda et du Burundi.

Sur place, il y avait des cultivateurs Hutus, d'origine Bantoue.


Pour d'autres chercheurs, Tutsis et Hutus sont originaires du Rwanda depuis la nuit des temps, ayant les mêmes croyances, les mêmes rites, la même langue, pratiquant l'endogamie, ils auraient conservé des particularités physiques propres à chaque groupe.


À partir du 15/16ème siècle, après avoir fait une conquête intérieure faisant disparaître les pouvoirs Hutus, une monarchie Tutsi domine la région. La société n'étant pas basée sur un critère ethnique mais sur une forme de caste, les Tutsis représentant une catégorie sociale mais pas raciale. La majorité de la population est hutue.


Les Tutsis sont des nobles et des propriétaires de troupeaux. Pour devenir Tutsi, il suffisait parfois à un Hutu de posséder un opulent troupeau.


Ce serait les européens qui auraient introduit une connotation raciale. Le Rwanda a été découvert en 1861 par un Britannique puis colonisé par les Allemands relayés par les Belges en 1916.


Les colons opérèrent un classement entre les tribus, désignant les Tutsis comme africains supérieurs se rapprochant de l'homme blanc par leurs traits, leur intelligence, leurs origines "hamites". Ils étaient considérés comme une "race de seigneurs", parfois comparés à des "européens sous une peau noire".


Les Hutus étaient considérés comme des vaincus, des serfs, des passifs, voire paresseux, "d'origine nègre".


Les Allemands, puis les Belges organisent des chefferies en privilégiant les Tutsis au détriment des Hutus.


En 1959, 43 chefs sur 45 et 549 sous-chefs sur 559 sont tutsis. À cette époque, on introduit une carte d'identité mentionnant l'ethnie. Les écoles doivent former en priorité des Tutsis destinés à devenir l'élite et les cadres du pays.


Les colonisateurs imputent le déséquilibre scolaire et social à la passivité des Hutus.


Les missions soutiennent les Tutsis dans le but d'évangéliser par le haut. Les politiques coloniales allemandes et belges ont exacerbé les différences et accentué le clivage, transformant le sentiment d'appartenance à un groupe en une logique d'affrontement ethnique et raciale.


Les Hutus se révoltent, reprenant à leur compte la théorie des origines éthiopiennes des Tutsis pour les qualifier d'étrangers, d'envahisseurs.


Face à cette révolte, l'administration belge décide de soutenir la contre-élite hutue majoritaire, considérant alors les Tutsis comme des féodaux colonialistes.

Les Tutsis sont considérés comme des immigrés et les révolutionnaires réclament leur retour en Ethiopie. Les Belges n'interviennent pas. Commencent les premiers massacres de Tutsis.

   

1962: L'indépendance est proclamée. Les Hutus monopolisent le pouvoir.

   

1970 : Sous le régime de Kayibanda, la question ethnique se radicalise, notamment à cause d'une grave crise économique


Des quotas de Tutsis sont imposés dans les écoles: pas plus de 10%. La tension prédomine chez les étudiants et les cadres qui luttent pour des emplois.


Kayibanda déclenche "la chasse" aux Tutsis et aux hybrides issus de mariages mixtes.


Entre 1970 et 1990, les présidents se succèdent, privilégiant le nord ou le sud selon leurs origines.

  

1990, l'effondrement des cours du café, les mauvaises conditions climatiques et de graves problèmes alimentaires entraînent une pénurie.


Les Tutsis exilés forment le Front Patriotique Rwandais (F.P.R.) et lancent une offensive le 1er octobre 1990.


Vécu comme une tentative de reprise de pouvoir tutsi, le général Habayarimana, autoritaire, lance un "pogrom" contre les Tutsis et les Hutus réfractaires au régime autoritaire.


Avec la complicité du pouvoir et de l'armée, deux partis hutus mettent en place une milice "escadron de la mort" et utilisent les médias dans une campagne de propagande anti-Tutsis.


En 1993 et 1994, ce régime et ces milices reçoivent des armes, un entraînement militaire dispensé par les Forces Armées Rwandaises (F.A.R.) grâce à l'aide de la France.


La "radio des milles collines", aux mains des proches de Habayarimana, diffuse des messages exhortant au génocide:

" La tombe n'est qu'à moitié pleine, qui nous aide à la remplir ?" - " Ne commettons pas la même erreur qu'en 1959, il faut tuer les enfants" - "Le 5 mai, le nettoyage des Tutsis devra être terminé"...

Et beaucoup d'autres messages destinés à effrayer les Hutus quant au "caractère" sanguinaire et dangereux des Tutsis.

   

Avril 1994, l'avion du président Habayarimana est abattu. Tous les Hutus de l'opposition et les Tutsis sont désignés comme ennemis.


Commence le carnage dans les églises, hôpitaux, hospices, orphelinats, écoles: des élèves sont tués par leurs professeurs, des voisins par leurs voisins, des femmes par leurs maris...

   

22 juin 1994, la France lance "l'opération humanitaire turquoise". Trop tard, il y a déjà plus de 500 000 morts.


4  juillet 1994, le F.P.R. tutsi prend Kigali et le pouvoir, les camps de réfugiés hutus sur les frontières pansent leurs plaies et préparent la revanche....



1.4. Le Cambodge (1958 - 1979)


                 
     source :  François Ponchaud  "Cambodge année zéro" - Juillard - Paris, 1977



Guerriers redoutables, les Khmers ont imposé leur domination sur l'ensemble du sud-est asiatique entre le 9ème et le 14ème siècle. Ils ont été limité par les Thaîs et les Vietnamiens (colonisés par les Chinois), et sont devenus un état tampon entre le Siam et le Vietnam.  Les Khmers (les princes) font appel à l'un ou à l'autre pour chasser le prince régnant.


La France interrompt le processus en installant un protectorat au milieu du 19ème siècle. Il n'y avait plus à l'époque que 800 000 Khmers. Durant la décennie qui suit l'indépendance (1953), des intellectuels reviennent de France avec des idées marxistes et s'opposent au prince Sihanouk qui les persécute. Ils seront appelés les Khmers Rouges (premiers massacres).


1968: révoltes de paysans et de montagnards du nord-est suite à des expropriations illégales faites par des hommes de Sihanouk. Répression par l'armée à laquelle sont associés des villageois d'autres secteurs (second massacre).

Les Khmers de Sihanouk tentent de "coloniser" le nord-est.


18 mars 1970: Sihanouk est renversé par son premier ministre Lon Nol. Sihanouk fait appel à l'armée populaire vietnamienne pour chasser l'usurpateur. Lon Nol excite la haine ancestrale contre les Vietnamiens et fait massacrer 2000 civils vietnamiens.


Les troupes vietnamiennes interviennent et suppriment les élites khmers soupçonnées d'être à l'origine de la chute de Sihanouk, enrôlent les jeunes paysans et confient l'armée de libération aux Khmers Rouges.


Les U.S.A. soutiennent Lon Nol - du 7 mars 1973 au 15 août 1973, la flotte aérienne U.S. écrase le Cambodge et fait 200 000 morts. Ce qui renforcera les Khmers Rouges dans le radicalisme destructeur.


De 1970 à 1975, ce fut une guerre sans merci entre les deux camps khmers: 600 000 morts et 200 000 blessés sur une population de 7 millions.


17 04 1975: l'armée khmers rouges investit Phnom Penh et les grandes villes. Les populations sont invitées brutalement à quitter les villes pour s'installer à la campagne. Les hauts fonctionnaires et les officiers sont exécutés


L'armée révolutionnaire veut développer les richesses agricoles du pays pour aboutir à l'autosuffisance alimentaire. Les villes sont considérées comme "des chancres improductifs".


Exode de 3 millions de personnes, considérées comme prisonnières de guerre et soumises aux travaux forcés.

Apparition du concept de "nouveau peuple"


Enrôlement des garçons de 12 à 25 ans pour les troupes d'élite. Les hommes de 25 à 55 ans travaillent dans les champs, les forêts, sur les digues. Les femmes travaillent dans les villages, les vieillards s'occupent des enfants.


La nourriture est rare: les récoltes abondantes servent à acheter des armes et à payer les dettes de guerre. Le peuple doit manger pour travailler  mais non pour se révolter.

Le nouveau peuple doit être éduqué, forgé: la faim, les tortures, les maladies seront les principales causes de décès pendant 4 ans.


Toute critique contre le régime, tout rapport sexuel illicite sont punis de mort. Les enfants dénoncent leurs parents, des amis dénoncent leurs amis.


1975: commence la phase de purification du peuple: officiers, fonctionnaires, dignitaires, religieux sont exterminés.


1976: phase de révolution démocratique: exécution des capitalistes: ceux qui possédaient un capital matériel, intellectuel, massacres des propriétaires, des enseignants, des étudiants.


1977: phase de la révolution socialiste, en marche vers le communisme caractérisée par la collectivisation totale, même des repas et élimination des classes. Tout le monde doit appartenir à la classe des paysans pauvres de couche moyenne inférieure.


L'élimination de classe était interprétée de façon différente selon les acteurs: les uns contraignant les gens à vivre comme des pauvres, les autres supprimant physiquement les "ennemis de classe"


Le message de la radio unique étant: "À les garder en vie nul profit, à les faire disparaître nulle perte"; ou "mieux vaut tuer un innocent que de laisser en vie un coupable".


On exécute les femmes et les enfants de " l'ennemi " pour être sur de déraciner, de faire disparaître la catégorie.


Il est répété que 2 millions de personnes suffisent pour reconstruire un pays.


1977: Pol Pot, chef de la région centrale s'allie à Tamok chef de la région sud-ouest et prend le pouvoir. Commence une nouvelle épuration. Élimination des cadres des autres régions pour les remplacer par des chefs du sud-ouest.

On élimine les cadres, mais aussi les sous chefs et les populations qui étaient sous leur contrôle.


L'armée révolutionnaire vietnamienne en profite pour envahir l'est et emmener 300 000 cambodgiens.

En représailles, les cambodgiens à peau pâle sont exécutés, soupçonnés d'être d'origine vietnamienne.

Le pays est couvert de charniers.


L'offensive vietnamienne du 25 décembre 1978 freine les massacres. 1/3 de la population, entre 2 et 3 millions de cambodgiens, a été exterminée.


Le 7.01.1979: l'armée vietnamienne installe à Phnom Penh le gouvernement de la république populaire du Kampuchéa, contrôlant l'ensemble du pays, à l'exception des montagnes du nord qu'il laisse aux Khmers Rouges.


Vécus dans un premier temps comme des libérateurs, les Vietnamiens se comportent en occupants, en colonisateurs: vidant le pays de toutes ses richesses: riz, or, machines. Ils refusent toute aide internationale à la population cambodgienne.


Après 1979, les vietnamiens accepteront cette aide destinée au Cambodge, qu'ils détourneront vers le Vietnam.

Le personnel des organismes humanitaires sera expulsé, devenant des témoins gênants.


La mission de l'armée révolutionnaire vietnamienne était de réaliser la grande unification de "l'Indochine" sous l'hégémonie de Hanoï.


1984 : 500 000 colons vietnamiens s'installent au Kampuchéa, occupant les meilleures terres, chassant les autochtones vers les terres moins riches.

À Phnom Penh, les commerces, les restaurants, les entreprises sont aux mains des Vietnamiens, les Khmers devant se contenter de petits commerces de rue.


Le caoutchouc va vers l'U.R.S.S., via le Vietnam. Le riz et le poisson vont pratiquement en totalité vers le Vietnam.


La Croix Rouge Internationale importe des plaquettes de protéines pour faire face aux carences alimentaires des Cambodgiens.


Après avoir été exterminés, les Cambodgiens voient disparaître leur entité culturelle sous le nouveau régime.


Depuis 1979, 500 000 réfugiés ont fui vers la Thaïlande, dont la frontière est ourlée de camps de concentration.


Ils représentent une monnaie d'échange et un tampon entre la Thaïlande et l'armée vietnamienne.


Ces camps sont régulièrement bombardés par l'un ou l'autre en guise d'avertissement. Ils servent de rempart humains et sont peut être un vivier où se constitue la future armée de libération.


Génocide ou massacres ?


        - répression étatique de minorités révoltées en 1988,

        - racisme viscérale anti-vietnamien 1970 et 1978,

        - idéologie marxiste, revue et corrigée par la révolution chinoise.


Les exterminations s'apparentent davantage à un modèle de prise de pouvoir d'autres régimes marxistes qu'au génocide Hitlérien (selon l'auteur).  Ces purges ressembleraient à celles pratiquées par Staline.



1.5. Le Nazisme et le génocide des Juifs

                                          

                 
     source : Marc Knobel



Les minorités juives immigrées en Europe de l'Ouest font l'objet d'un anti-sémitisme endémique depuis des siècles. Cet anti-sémitisme semble avoir atteint son paroxysme avec l'avènement du nazisme. Hitler auraient été influencé par la lecture de Gobineau, de Chamberlain.


1920  le programme du N.S.D.A.P. (parti national socialiste) indique que seuls les citoyens bénéficient de droits civiques. Pour être citoyen, il faut être de sang allemand. Les Juifs ne peuvent donc pas prétendre à être des citoyens.

Il indique également qu'il faut lutter contre ceux qui nuisent à l'intérêt public.


Hitler dirige le mouvement. Il tente un putch militaire en 1923. Il sera incarcéré dans la forteresse de Landsberg où il écrira son livre Mein Kampf.


Sa théorie développe qu'un certain nombre de races biologiques se caractérisent par un ensemble de qualités physiques, intellectuelles, et morales liées à l'hérédité.


Parmi ces races, certaines sont supérieures, telle la race aryenne, et d'autres sont inférieures tels les Juifs.

Il affirme que les rapports entre ces races doivent être de l'ordre du rapport de seigneur à esclave.


30 Janvier 1933 : Hitler est nommé chancelier du Reich. Les nazis prennent le pouvoir et commencent leur propagande anti-juive. En Avril 1933, sous prétexte de répondre au boycott des marchandises allemandes à l'étranger, les allemands boycottent les magasins juifs sur l'ensemble du territoire.


07 Avril 1933 : deux lois excluent les Juifs de la fonction publique.


22 Avril 1933 : les médecins juifs sont exclus des caisses de sécurité sociale.


19 Septembre 1933 : les Juifs sont exclus de l'administration, de la justice, de l'enseignement, et sont privés de tout droit politique.


1935 : lois de Nuremberg  sur la citoyenneté : pour être citoyen du Reich, il faut être de sang allemand, de souche allemande.

                                   sur la protection du sang allemand : interdiction de mariage mixte entre Juifs et Aryens, interdiction de concubinage et de rapports sexuels.


1938 : un attentat est commis par un jeune juif contre Van Rath, conseiller de l'ambassade allemande à Paris. Prétexte qui déclenche le Pogrom6 .


Heydrich invoque le fait que les Juifs doivent quitter le Reich. L'émigration de 400 000 Juifs est programmée.


Il est prévu de les déporter vers la Guyane et Madagascar.


Janvier 1939: Hitler annonce que si une guerre mondiale devait éclater, ce serait l'anéantissement de la race juive en Europe.

Mars 1941 : Hitler donne l'ordre à la Wermacht d'exterminer, après pénétration allemande en URSS, les commissaires politiques de l'armée rouge, les communistes actifs et les prisonniers juifs.


Mai 1941 : les nazis créent les S.S.7  chargés de l'élimination des Juifs soviétiques.


31 Juillet 1941 : Goering charge Heydrich de préparer "une solution finale" à la question juive.

Dès la fin 1941, exécutions  massives à l'aide de camions et des premières chambres à gaz.


Décembre 1941 : premier camp d'extermination de Chelmo

01 Mars 1942 : camp de Soliber - 250 000 Juifs jusqu'en 1943

17 Mars 1942 : camp de Belzee - 600 000 Juifs jusqu'en 1943

26 Mars 1942 : Auschwitz et Majdank 600 000 Juifs


4 millions de personnes sont gazées massivement dans les chambres spéciales (Juifs, Tziganes, Communistes, Polonais...)


La faim, le travail épuisant, les conditions d'hygiène, les maladies, les tortures, les expériences médicales, ont contribué à la mort de nombreux autres.


Mai 1942 : l'assassinat d'Heydrich va accélérer les massacres.


Des Juifs organisent une résistance avec d'autres résistants : le Danemark et la Bulgarie sont cités comme étant des pays où il y a eu mobilisation de la population pour protéger les ressortissants juifs.


Début 1942, des informations sur les activités S.S. et sur les "camps de la mort" parviennent aux pays occidentaux, provoquant indignation et stupéfaction. Mais aucune action militaire n'est entreprise pour venir en aide aux Juifs. Les alliés étant occupés à faire et tenter de gagner la guerre.


6 millions de personnes ont péri du nazisme, dont les Juifs, mais aussi des Tziganes, des Communistes, des Polonais et des Homosexuels.


Yves Ternon cite : " Au dernier colloque sur le génocide  juif, deux thèses se sont opposées :


        - les internationalistes pour qui Hitler a programmé dès le début le génocide juif et les camps de la mort ne sont que l'achèvement de ce plan.


        - les fonctionnalistes pour qui l'intention première d'Hitler n'éxédait pas la ségrégation des Juifs, et ce n'est que dans un second temps, dans les circonstances extrêmes de la guerre totale, que la destruction des Juifs a été conçue.


La seule chose dont on est certain, est que les Juifs étaient considérés comme irrécupérables, et devaient être au mieux totalement séparés de la population allemande".



1 Guy Richard, " L'histoire inhumaine, massacres et génocides des origines à nos jours", Paris, Édit. A. Collin, 1992

2 Défense Contre les Aéronefs

3 Organisation des Nations Unies

4 Organisation de l'Unité Africaine

5 Jean Bulber, Tuez les tous...!, Flammarion, Paris, 1968.

6 Pogrom :  émeute dirigée contre une communauté ethnique ou religieuse. Larousse

7 S.S. SchutzStaffel -échelon de protection- police militarisée dirigée par Himmler-

 

"La vérité appartient à ceux qui la cherche et non à ceux qui prétendent la détenir."

N. Condorcet - Discours sur les conventions nationales - 1791

Génocides... cet étrange besoin d'éliminer l'autre,

                            une histoire d'autruches....