1. 3.Approche théorique du génocide



Quand des millions d'êtres humains sont exterminés, importe-t-il de savoir s'il ont été victimes d'un massacre, d'une épuration de masse, ou d'un génocide ?


En accord avec Jacques Semelin, je pense que oui :


- parce qu'une réflexion et/ou une recherche impliquent de commencer par la définition des concepts qui s'y réfèrent. La réflexion théorique n'est pas un but en soi mais elle vise à éclairer l'action.


L'extermination n'appartient pas au passé, elle se reproduit et risque de se reproduire encore et encore.


  1. -  parce que la recherche théorique permet de distinguer des spécificités et des processus, et de faciliter l'élaboration de moyens d'action et de prévention.



3.1. Définitions



Le terme de génocide issu de la racine "genos" qui veut dire race et du suffixe "cide" qui indique l'action de tuer, a été créé par Raphaël Lemkin, d'origine polonaise, conseiller au ministère de la guerre aux U.S.A.


Il est apparu dans son livre "Axis rule in occuped Europe" en 1944 et définit "la destruction d'une nation ou d'un groupe ethnique impliquant un plan coordonné ayant pour but l'extermination. Les actions de ce plan visant les individus non pas en tant que tels, mais en que ce qu'ils représentent, en tant que membres d'un groupe national".


L'accusation a été formulée de façon très générale et ne paraît pas désigner exclusivement l'extermination des Juifs.


Dans le réquisitoire de Sir Hartley Shawcross " le génocide ne comprenait pas seulement l'extermination du peuple juif et des Tziganes, mais fût appliqué sous différentes formes en Yougoslavie, aux habitants Allemands d'Alsace-Lorraine, aux populations des Pays-Bas et de Norvège.

La technique variant d'une nation à l'autre, d'un peuple à l'autre, mais le but étant le même dans tous les cas".



3.2.  La Convention sur la Prévention et la Répression du Crime de Génocide:


adoptée par l'O.N.U. le 9 Décembre 1948 et ratifiée par de nombreux pays, dont le Rwanda, est la première tentative de définition juridique du génocide.


Selon cette convention, le génocide n'est pas une réalité seulement contemporaine. " A toutes les périodes de son histoire, le génocide a infligé de grandes pertes à l'humanité".


Sont déclarés criminels, aussi bien le génocide proprement dit que l'entente en vue de le commettre, l'incitation directe et publique, la tentative pour le mettre en oeuvre, et la complicité dans sa réalisation.


Les procédés génocidaires peuvent avoir un effet direct - meurtres collectifs- ou différé - déportations-famines organisées - entrave à la natalité.


L'essentiel est que le crime de génocide est défini comme intention de détruire tout ou partie d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel.


Nous constaterons que les groupes politiques, économiques, culturels, ne figurent pas parmi les groupes "protégés" contre le génocide.


Des juristes et des historiens ont proposé d'autres définitions du génocide.


Peter Drost : " le crime de génocide sous sa forme la plus grave est la destruction de la vie physique d'êtres humains pris individuellement en raison de leur appartenance à une collectivité humaine quelconque comme telle".


Arnold Toynbee : " le génocide se distingue au 20 ème siècle par le fait que ce crime de sang froid sur un ordre donné délibérément par les détenteurs d'un pouvoir politique despotique, que ces auteurs emploient toutes les ressources de la technologie, de l'organisation actuelles pour exécuter complètement et systématiquement leurs plans meurtriers".


Toynbee attire l'attention sur le fait que la bureaucratie et la technologie modernes ont donné aux hommes une puissance de contrôle et de destruction considérable.



3.3. A partir des travaux de Jacques Sémelin sur le génocide et les crimes de masse, entendus comme résultats d'une politique volontariste d'anéantissement d'une collectivité humaine par la mise en oeuvre de moyens techniques et organisationnels plus ou moins efficients selon les époques et les systèmes de civilisation,


on peut distinguer six types de destruction de masse :


3.3.1. L'ethnocide : défini comme destruction délibérée d'une culture, le plus souvent dans le but d'exploiter économiquement et politiquement ses membres.


Dans la mesure où il obéit à une logique de négation de l'autre, la tendance naturelle de l'ethnocide est de conduire de la destruction de la culture à la destruction physique partielle des membres de cette culture, ce qui l'apparente souvent au massacre.


3.3.2. Le massacre : commandé ou spontané, méthodique ou anarchique, mais par définition limité.


Sa finalité n'est pas l'extermination du groupe victime en tant que tel, mais de créer un effet de terreur de nature à faciliter sa soumission ou l'inciter à quitter un territoire donné.


Le massacre serait une stratégie de conquête ou de mise en esclavage des populations.

On le retrouve dans toutes les guerres tribales, antiques, modernes, coloniales.


La tactique du bombardement des populations civiles en fait partie. Terroriser pour hâter la capitulation.


Qu'il soit conventionnel ou nucléaire (potentiellement plus destructeur), son emploi est de détruire ou de menacer de détruire une partie des populations civiles de l'adversaire pour l'intimider et ou le forcer à la soumission.

L'objectif est la dissuasion par la terreur.


3.3.3. L'épuration de masse : vise à consolider, renforcer, accroître le pouvoir de ceux qui la décident et révèle par le caractère tyrannique de leur régime.


Comme le massacre, elle vise à terroriser une population pour la soumettre. Bien que pouvant être externe, elle est davantage liée à la gestion d'un processus interne.


Elle répond souvent à des critères idéologiques en désignant des groupes politiques, des catégories économiques, des classes sociales particulières.


Elle pourrait s'apparenter au génocide dans la mesure où elle utilise aussi des critères de sélection, mais elle n'aurait pas dans un premier temps le projet d'éradication des populations niées.


L'épuration de masse va souvent de pair avec le concept d'homme nouveau, ce qui impliquerait une intention de rééduquer et non d'éliminer.


"Elle élimine les suspects afin d'assainir la société".

La logique de l'épuration repose sur la sélection, la déportation, le regroupement, ce qui la rend proche du génocide, le nombre de ses victimes dépassant souvent celui des génocides.


3.3.4. le crime de guerre :  définit lors du procès de Nuremberg comme étant " l' Assassinat, mauvais traitements ou déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, assassinat ou mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, exécution des otages, pillages de biens publics ou privés, destruction sans motif des villes et des villages, ou dévastation que ne justifient pas les exigences militaires. »


3.3.5. le crime contre l'humanité: défini à nouveau lors du procès de Nuremberg comme étant " l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisés en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile ".


3.3.6 le génocide : qui est toujours un ethnocide, un massacre, une épuration de masse, et en même temps bien plus, par sa finalité, son intention, qui est la destruction totale ou en partie d'un groupe victime.


Le génocide n'a pas pour but l'assimilation forcée, la mise en esclavage, l'instauration d'un climat de terreur permanent, mais la destruction systématique, voire radicale, d'une collectivité humaine définie comme telle.


Si la spécificité du génocide réside dans la volonté de détruire totalement ou partiellement un collectif humain défini par une ou plusieurs caractéristiques, il parait important d'affirmer qu'il ne semble pas que le génocide des Juifs puisse être considéré comme l'unique ou le plus horrible de l'histoire.


Ne devant pas être oublié, il n'en doit pas moins masquer les autres.


Force est de constater qu'il semble souvent difficile de dire précisément où finit un massacre et où commence un génocide ! D'autant plus qu'aujourd'hui s'ajoutent des concepts de plus en plus employés comme crime de guerre et crime contre l'humanité. Ces définitions bien que relavant d'un tribunal international, semblent souvent relever d' intérêts politiques et économiques en jeu. La plupart des experts divergent quand à la labellisation d'un massacre : parfois cela se joue sur le nombre de victimes, sur les fait que ce soit des femmes et des enfants, sur l'intention sous-jacente....


Selon les enjeux, les politiques et les forces en présence, parfois selon les caractéristiques des victimes, et/ou les modes d'appréciation des experts, les critères permettant d'affirmer que l'on est en présence d'un génocide sont dévalués, occultés, exagérés.


Il est choquant de constater que la reconnaissance d'un génocide semble davantage tenir d'un jury que d'un acte réfléchi.


La polémique autour de la reconnaissance du concept même, et autour de l'éthique de l'ingérence se déroule bien souvent pendant que les massacres font rage, bloquant toute intervention pertinente et rapide.


L'appréciation définitive devrait se faire à partir de la définition admise par l'O.N.U.


La difficulté vient peut-être de la notion d'intention de destruction totale ou partielle:  comment évaluer l'intention ?

L'intention des Hutus ou des Tutsis n'est-elle pas d'éliminer complètement leur adversaires ou rivaux ?

Hitler, Staline, Mao Tze Toung, Khomeny ne laissent pas beaucoup de traces écrites de leur théorie, de leurs ordres, ni de la détermination de leurs intentions.


Le génocide Arménien commence a bénéficier d'une reconnaissance officielle ( le 29.05.1998 pour la France), celui du Rwanda crée des polémiques et semble en attente de "validation", quant aux autres ils n'apparaissent que dans le discours de groupes minoritaires de défense et de dénonciation.


Au delà de la polémique des experts et des autorités, je suis persuadé qu'au delà des enjeux liés à la reconnaissance ou non des faits, ceux-ci quels qu'ils soient interrogent la conscience au plus profond d'elle-même.