Pakistan - Une partition difficile à jouer


Vendredi 27 février 1970: Nous nous levons tôt pour ne pas rater le bus une fois de plus. Nous partons vers 08h00 pour la Pakistan. Prochaine étape Peschawar.


Les montagnes se sont imposées au désert. Il pleut toute la journée. La piste s'accroche dangereusement aux flancs de la montagne. Nous sommes dans la Keyber Pass qui relie l'Afghanistan au Pakistan.

Des dizaines de camions et de voitures se sont écrasés au fond du ravin. Nous apercevons les carcasses, anciennes ou récentes.

John et Handy me demande si je peux mettre leurs plaques de résine en sécurité dans le sac de ma caméra. J'ai compris pourquoi une heure plus tard.

A la frontière Afghane, le douanier me fait monter sur la galerie du bus pour voir mon sac de voyage sous une pluie battante. Il est persuadé que j'ai du hachich. (pourquoi plus moi qu'un autre ?)

Paradoxe afghan, ils en vendent partout à découvert, mêmes les gosses de 10/12 ans en fument dans la rue, ils sont les premiers producteurs de pavots et exportateurs d'opium et d'héroïne du monde, et il est là à m'emmerder pour savoir si j'ai de la résine !

Il a tout retourné, mes affaires sont trempées, et moi aussi. Il n'a rien trouvé, il devait être sacrément frustré.

Heureusement que le sac de ma caméra était à l'intérieur, sous le siège et qu'il n'a pas pensé regarder les bagages qui étaient à l'intérieur. Je réalise très vite pourquoi les Anglais m'ont demandé ce service, j'en ai froid dans le dos.

Je remonte dans le bus gelé et noyé. Je me dépêche de rendre la résine à leurs propriétaires, fou de rage.

Si j'avais pu leur casser la figure sans me faire remarquer, je l'aurai fait. Cela les fait rire...pauvres cons.

Je ne leur adresse plus la parole. Comme ils n'en sont pas à leur premier voyage, j'imagine qu'ils avaient tout prévu.

Ils m'ont utilisé pour leur "trafique de merde". Si je m'étais fait prendre, ils s'en seraient bien tirés.

Je suis pressé de quitter l'Afghanistan et ces junkies, qui pourrissent l'image que j'ai de la Route des Indes. Je me suis mis à vomir par la fenêtre tellement ce pays m'est devenu indigeste, souriant intérieurement à l'idée d'atteindre de mes déjections un de ces enturbannés.

Passons la frontière à Torkham Pak.

A Peschawar nous quittons la route pour aller prendre le train. En quittant la gare routière, j'aperçois des boutiques et des étalages où l'on ne vend que des armes, pistolets, couteaux, Kalachnikov, lances roquettes. et leurs munitions. Ils parait que ce sont des copies locales, mais qui fonctionnent. Il y a du monde qui se presse autour de ces marchands de mort. Être armé semble être une priorité dans cette région.


Nous prenons le train de nuit pour Lahore. Plusieurs fois on nous fait bouger pour laisser nos places à des Pakistanais. Lorsque nous demandons à voir leur réservation, ils font mine de ne pas comprendre et nous ordonnent violemment de céder nos places. Ils nous traitent comme des bêtes.

Lorsqu'un Pakistanais nous adresse la parole, c'est généralement pour dire "How much" ? à propos de nos bagages, de notre montre, de nos chaussures. Comme si nous étions à vendre !


Nous sommes en compagnie de Mako, Romi et Yokio, les Japonais rencontrés à Erzurum. Ils sont amusants, toujours en train de plaisanter. Cela nous aide à relativiser, car pour l'instant la route ne tient pas trop ses promesses de paix, d'ouverture et d'échange, en dehors des routards que nous rencontrons, pour la plupart tellement différents du reste du monde.


De nombreux trailers sont égoïstes, mégalos ou paranos, distants, hautains, perchés sur leur nuage de pseudo spiritualité.

Ils sont et resterons ce qu'ils sont après leur séjour chez Osho à Poona ou Maharishi à Rishikesh.

D'autres sont des trafiquants et consommateurs opportunistes qui se mélangent à la migration, profitant de l'effet de masse pour se faire oublier et s'adonner à leur commerce de produits stupéfiants, d'artisanat, d'antiquités et autres objets dont certains ont été volés dans les temples. Ces deux catégories ont beaucoup contribué à discréditer la culture hippie.


Heureusement la grande majorité des trailers sont des personnes pleine d'humanité, de chaleur, d'originalité qui sont persuadés que le monde va changer. J'ai découvert avec eux que Peace and Love n'était pas que des mots. C'est un état d'esprit, un état d'âme. Ils incarnent cet amour et cette paix tant galvaudés. J'aime ces visages rayonnants de jeunes qui ont la foi. J'aime cette naïveté très romantique et cette ouverture d'esprit qui contrastent tellement avec l'image de la jeunesse qu'on nous impose. Je dois reconnaitre que pour l'instant nous sommes un peu décalés par rapport au reste du monde.


Samedi 28 février 1970 : nous arrivons à Lahore vers 08h00, après une nuit atroce.

Aussitôt sortis de la gare, nous prenons un taxi à plusieurs pour aller au "Gouvernement office" chercher un "road permit" (autorisation de traverser la frontière entre le Pakistan et l'Inde). La tension est grande entre ces deux nations, la frontière est une zone sensible.


Nous nous retrouvons à nouveau avec John K, Handy, que nous n'avons pas pu éviter, John D. et les deux Malais.

Je crève d'envie de balancer les deux Anglais à la police. Ma culpabilité est plus forte, je m'abstiens.

Une fois les permis obtenus, nous tentons d'avoir le bus pour la frontière. Trop tard.

Ne tenant pas à rester au Pakistan où les routards ne semblent pas bienvenus, nous affrétons deux taxis pour nous emmener directement à la frontière Indienne, à une trentaine de kilomètres.


Dès la sortie de la ville, le paysage change.


Plus de désert, plus de montagne aride, ce sont des champs de riz et de blés, verts (couleur que nous avions presque oubliée depuis le début de ce périple), des buffles qui broutent, des palmiers dattiers, des bananiers. Le temps est couvert, mais il fait nettement plus chaud dans tous les sens du terme.

Le ciel est envahi de corbeaux, de passereaux, d'aigles et parfois de vautours.

Dans les arbres il y a des petits perroquets de toutes les couleurs. Les chameaux et les moutons sont remplacés par des zébus et d'énormes buffles qui tirent des charrettes lourdement chargées.


Les hommes ne portent plus de turbans, ils ont la peau plus foncée. Les femmes portent des saris colorés qui soulignent leur démarche chaloupée pour garder en équilibre le pot qu'elles ont sur la tête ou la vasque qui épouse la forme de leur hanche. Elles sont belles, élancées, souriantes. Impression d'entrer dans un autre monde.


Vers 13h45, nous abordons la frontière à Ganda Singh Wala. Il y a des tanks, des canons, des camps militaires un peu partout. Nous devons franchir à pieds les 300 mètres qui nous séparent du poste militaire pakistanais au poste militaire indien.

C'est presque avec soulagement que nous entrons en Inde, comme un sentiment de libération. Les militaires semblent compatir avec un "welcome" chaleureux et souriant, et ce petit hochement de tête de gauche à droite. Impression que c'est fini, qu'il ne peut plus rien nous arriver. Dommage que les Anglais ne se soient pas fait fouiller. Dommage que nous n'ayons pas pu emmener les Anglaises avec nous.


Nous nous mettons tous à courir vers les charrettes à cheval qui nous attendent un peu plus loin. Il y a 10 km à parcourir pour arriver à Ferozpur, première ville indienne.


10 km de folle euphorie. Tout le monde nous fait signe de la main, nous sourie, nous interpelle. Ils ont dû en voir défiler des occidentaux sur cette route depuis des années, mais l'accueil semble toujours le même.

Une fois que l'on s'arrête, les gens viennent nous dire bonjour, et demandent "Can I help you ?".

Du jamais vu. Il y a chez la majorité des Indiens rencontrés un réel besoin d'entrer en relation, d'être utile, de faire connaissance. On nous demande rarement quelque chose en échange. Les gosses viennent jouer avec nous. Impression d'arriver quelque part où on est attendu.


Arrivés vers 15h30, nous avons un train pour Dehli à 21h00. J'achète des cacahuètes grillées sur le bord du trottoir.


Un jeune rikshaw, vélo-taxi, s'approche. Je partage mes cacahuètes. Il m'invite à m'asseoir à côté de lui dans le rickshaw. Il parle un très bon anglais. Questions devenues courantes "Where do you come from ? Where are you going ? Are you married ?"

Je lui demande où on peut boire un Coca Cola pour changer de l'eau et du thé. Il m'emmène dans un petit café de trottoir et refuse que je le paie. Je lui offre un coca, made in India. Je découvrirai plus tard que les Indiens ont une façon bien à eux de fabriquer du coca cola, avec des produits pas toujours conformes aux règles sanitaires, voire dangereux pour la santé.


Il me propose de nous accompagner à la gare.Nous sommes rejoints par les deux Malais. Nous achetons des billets de 3ème classe.

En attendant le train, des gosses nous proposent leurs vélos. Nous partons avec eux sur les portes bagages faire un tour en ville, confiant nos bagages aux Malais. Nous nous amusons comme pris d'un irrépressible besoin de lâcher une tension énorme.

Nous nous restaurons dans une petite gargote de rue: vegetables cutlets, terriblement épicées et riz, avant de prendre le train. Je découvre le goût de l'Inde.


Les 3ème classes sont véritablement inconfortables. De plus, nos places sont occupées par des individus sans gêne qui font semblant de ne pas comprendre que nous avions réservé. Nous sommes obligés de voyager par terre, comme des centaines d'autres personnes, imbriqués les uns contre et dans les autres. L'indien moyen semble être comme tous les individus moyens, égocentrique, narcissique, very selfish...